La tenue des Jeux olympiques est une promesse de revitalisation urbaine et le cas de Londres ne fait pas exception. Dans l'est de la capitale, Newham héritera du parc olympique et de 10 000 nouvelles habitations; une bénédiction pour ce quartier où la pénurie de logements est criante. Pourtant, la renaissance promise est accueillie avec scepticisme. État des lieux.

Pour vraiment ressentir la fièvre des Jeux dans la capitale, il faut visiter l'arrondissement est-londonien de Newham. Les visages en format géant du sprinter jamaïcain Usain Bolt et de Jessica Ennis, championne d'heptathlon et pin-up de «Team GB», accueillent les voyageurs à la sortie de la station Stratford.

Impossible non plus de rater le stade et le centre aquatique du haut de la passerelle qui relie la gare au centre d'achats Westfield, porte d'entrée du parc olympique.

Mais malgré l'apparition de ces infrastructures, les habitants de Stratford, quartier déshérité à forte population immigrante, se disent exclus de la fête.

«Ces Jeux ne sont pas pour nous», dit Ahmed Malik, l'air dépité. Le jeune technicien de laboratoire de 27 ans explique s'être senti comme un «étranger» à un match de qualification de hockey de gazon. «Il n'y avait que des gens riches dans les gradins.»

La revitalisation de l'est de Londres était l'argument-clé qui a fait remporter la tenue des jeux en juillet 2005. Or, sept ans plus tard, les services municipaux laissent à désirer, des terrains de sport disparaissent et les loyers montent en flèche, décrient une partie des résidents.

Pourtant, ils hériteront du parc olympique qui sera converti en quartier sportif et communautaire au coût de 475 millions de dollars en 2014. Plusieurs installations seront démontées, mais le stade olympique (dont le futur locataire est toujours inconnu), le vélodrome, l'aréna de handball et le centre aquatique seront adaptés au grand public.

Les organisateurs le répètent sans cesse: 75% du budget du parc a été dépensé en fonction de son usage à long terme.

Crise du logement

En attendant, des parents dénoncent un recul de la promotion du sport auprès des jeunes.

La seule piscine communautaire de Stratford a mis la clé sous la porte en janvier dernier, laissant en pan des milliers d'écoliers. «Le quart des enfants sont obèses dans l'arrondissement», s'indigne Simon Shaw, un enseignant qui a fait campagne contre la fermeture.

Le directeur du développement durable du parc olympique, David Stubbs, est pourtant convaincu que le nouveau centre aquatique fera le bonheur des familles du quartier. «Nous ne pouvons pas faire trop de compromis, dit-il cependant. Nos enceintes doivent demeurer de calibre international.»

Il se félicite des nouvelles habitations qui aideront à alléger la crise du logement à Stratford. Cinq nouveaux quartiers seront créés au cours des 20 prochaines années et 8000 maisons s'ajouteront aux 2800 logements du village des athlètes, qui sera rebaptisé l'East Village. Le tiers d'entre elles seront à loyers modiques.

Une goutte dans l'océan en comparaison aux 32 000 noms inscrits sur la liste d'attente des 17 000 logements sociaux de Newham, dénonce malgré tout Keith Fernett, du refuge pour sans-abri Anchor House. «La demande pour nos lits a bondi au cours de la dernière année.»

Embourgeoisement

Même le boum immobilier engendré par le parc olympique inspire la méfiance. Les tours qui se bâtissent à vue d'oeil abritent des appartements hors de prix pour la population locale. «Beaucoup de nos clients sont des Chinois qui vivent à l'étranger et des professionnels de la City», explique Ross Smith, de l'agence immobilière Site Sales.

Il faut dire que la station Stratford s'est radicalement rapprochée du centre-ville grâce à l'ajout de lignes ferroviaires, un investissement de 200 millions de dollars.

Régénération rime avec embourgeoisement, confirme John Gold, historien sur la géographie urbaine des Jeux olympiques à l'Université Oxford. «Le scénario se répète dans chaque ville olympique. Avec la hausse du coût de la vie, une partie de la population sera davantage refoulée vers l'Est.»

D'où l'amertume qui commence à poindre dans le quartier. «On nous a vendu ces Jeux olympiques comme une panacée, dit Keith Fernett. Mais nous avons l'impression qu'ils se feront à l'encontre de la communauté, et non pour elle.»

L'héritage olympique de Londres

À sa réouverture en 2014, le Queen Elizabeth Park s'étalera sur 226 hectares et comprendra 8 installations adaptées à l'usage communautaire. Le centre de presse deviendra l'iCity, un centre de recherche en technologie et design.

Environ 5000 personnes déménageront dans l'ancien village des athlètes, qui deviendra le premier de cinq nouveaux quartiers de l'est de Londres. On prévoit y bâtir des écoles, des cliniques de santé et des centres communautaires, en plus d'une réserve naturelle de 45 hectares.

Les installations olympiques: le défi de durer

2008 : le nid vide de Pékin

La capitale chinoise s'est modernisée au coût de 42 milliards de dollars pour éblouir le monde entier. Des quartiers historiques ont cédé la place au Nid d'oiseau et au Cube d'eau. Le métro est passé de trois à huit lignes et l'aéroport s'est doté d'un troisième terminal, grand comme 17 stades de soccer. Quatre ans plus tard, le stade s'apparente à une relique, plus populaire auprès des touristes (5 millions par année) que des clubs sportifs. De son côté, le Cube d'eau abrite un nouveau parc aquatique qui connaît un succès moyen. Malgré une subvention du régime, le centre a perdu 1,75 million de dollars l'année dernière, selon l'agence Reuters.

2004 : les ruines olympiques d'Athènes

Une piscine aquatique abandonnée. Des installations couvertes de graffitis. Un complexe olympique jonché de débris. La vue du site olympique d'Athènes doit donner mal au coeur aux Grecs, qui ont déboursé 16 milliards de dollars, un record, pour le construire. Les organisateurs ont vu trop grand et à court terme. Évaluée à 500 millions de dollars, la facture annuelle de l'entretien des 19 installations permanentes, dont le secteur privé ne veut pas, était astronomique même avant la crise de la dette du pays en 2009. Les Athéniens peuvent se consoler avec les infrastructures héritées des Jeux: le prolongement important du métro sur 18 kilomètres, un nouvel aéroport et une nouvelle autoroute. Un programme de reboisement et l'ajout de zones piétonnières ont également rendu la ville plus vivable.

2000: mieux vaut tard que jamais pour Sydney

Le parc olympique de la cité ensoleillée ressemble en tous points à celui de Londres. Située à 16 kilomètres du centre-ville, la zone industrielle d'Homebush Bay a été décontaminée avant la sortie de terre des installations, dont un stade de 110 000 places. Le réseau ferroviaire et fluvial a été agrandi pour desservir le lieu excentrique de 760 hectares. Cependant, la Ville a attendu cinq ans après le départ de la flamme pour trouver une nouvelle vocation au quartier. Elle s'est bien rattrapée. Le stade accueille 50 événements sportifs par année et la plupart des installations s'autofinancent. Les premiers Jeux «verts» ont également légué un village des athlètes fonctionnant à l'énergie solaire.

1996 : le centre-ville pacifié d'Atlanta

Ville modèle pour les Jeux de Londres, Atlanta a profité du cirque olympique pour revitaliser à long terme un secteur défavorisé du centre-ville. L'Université Georgia Tech a pris en charge la gestion de la piscine olympique et a converti le village en résidences étudiantes. Le centre aquatique compte aujourd'hui une piste de course et des terrains de basketball loués par des écoles. Quant au stade olympique, qui a coûté 1,2 milliard, sa seconde incarnation comme domicile des Braves d'Atlanta était au programme avant la première pelletée de terre. Mais les legs les plus importants sont sans doute la création d'un nouvel épicentre d'affaires, qui a généré des investissements de 1,8 milliard, et le rapprochement entre les communautés ethniques. Une fin heureuse à l'américaine pour ces Jeux financés entièrement par le privé.