Retournons en arrière, au 31 mars 2010. Carey Price vient de perdre 2-1 contre les Hurricanes de la Caroline, malgré ses 25 arrêts. À l'annonce qu'il reçoit la troisième étoile, quelques partisans huent spontanément.

Il faut dire qu'en cette saison 2009-2010, Price ne s'est pas fait beaucoup d'admirateurs. Il perd souvent, et de l'autre côté, Jaroslav Halak est devenu plus populaire que les Beatles. C'est d'ailleurs Halak qui termine la saison, puis transporte le Canadien jusqu'en finale de l'Association de l'Est.

La fébrilité est à son comble. Le public montréalais a adopté un nouveau héros. Tous les rêves sont désormais permis. Pas besoin de vous rappeler ce qui vient ensuite : c'est la stupéfaction le 17 juin quand Halak passe aux Blues de St. Louis. Le Canadien a tranché : Price est le gardien d'avenir de l'organisation.

L'été passe, puis lors du premier match préparatoire, Price connaît une défaillance. Il cède quatre fois sur neuf tirs face aux Bruins de Boston. Les spectateurs au Centre Bell n'en demandaient pas tant. Ils déversent leur frustration sur le jeune gardien de 23 ans à l'époque. C'est le lendemain que Price servira son célèbre « Chill out ».

Le défenseur Hal Gill est l'un des premiers à se porter à la défense de Price. Il l'avait fait avec passion la saison précédente après la défaite face aux Hurricanes. Ce soir-là, il sort carrément de ses gonds : « Il est à peu près temps que les gens comprennent qu'ils ne l'aident pas. Ils n'aident pas l'équipe. »

Gill est aujourd'hui analyste pour les Predators de Nashville. On lui a reparlé de ce moment marquant de son passage avec le Canadien. 

« Quand Carey Price est arrivé à Montréal, il était très jeune. Je suis déjà sorti avec lui. Que ce soit lui ou P.K. Subban, tout le monde leur payait des verres, tout le monde prenait soin d'eux dans la ville. Tout le monde le connaissait. Puis le lendemain, après lui avoir offert des verres toute la soirée, ils le critiquaient pour avoir bu de l'alcool. Je trouvais ça injuste. C'était un jeune homme qui devait grandir à travers tout ça. »

« Carey a passé l'été à s'entraîner plus fort que jamais. Il a arrêté de boire complètement. Il s'est imposé beaucoup de choses pour devenir meilleur. Puis il a accordé quelques buts, et la foule a commencé à le huer. J'ai perdu contrôle. J'étais furieux envers les partisans. »

« Ce jeune avait travaillé si fort pour devenir meilleur, tout le monde le savait dans le vestiaire. Dès que j'ai parlé contre les partisans, j'ai cru que je me ferais huer et que je serais échangé. Finalement, ça s'est bien passé. Je crois que plusieurs respectaient que je défende un coéquipier. »

Selon Gill, les deux joueurs ont développé ensuite un lien plus étroit. Ils sont sortis ensemble après ce fameux match préparatoire. Price a admis qu'il trouvait la situation très frustrante. L'ancien défenseur croit d'ailleurs que cette épreuve a changé Price.

« À travers ça, il a appris qu'il devait être lui-même. Maintenant plus que jamais, c'est ce qu'il fait. Peu importe les commentaires négatifs ou positifs, il ne peut pas changer qui il est. Il doit faire ses propres affaires. J'ai beaucoup appris sur moi-même durant cet épisode, lui aussi, je crois. C'est une bonne personne, il fait les choses à sa manière, et l'équipe respecte ça. J'espère que tous les gens à Montréal le respectent aussi pour ça. »

Une première rencontre

Gill a porté les couleurs du Canadien de juillet 2009, quand il s'est joint à l'équipe à titre de joueur autonome, jusqu'à ce qu'il soit échangé aux Predators le 17 février 2012. Durant son passage, il a marqué l'imaginaire par sa technique de la pieuvre qui le rendait si redoutable en désavantage numérique. Il était toujours prêt à se sacrifier pour un gardien qu'il respectait beaucoup.

Gill se souvient d'ailleurs que la première fois qu'il a vu Price, il a d'abord été frappé par son imposante stature. Ensuite, par son attitude très décontractée.

« Je trouvais fascinant qu'il soit un compétiteur si féroce tout en étant quelqu'un de si détendu. Être son défenseur était un privilège. Il était très calme, il ne perdait jamais le contrôle. Il te disait quelque chose, tu savais qu'il était sérieux, mais il n'avait pas besoin de crier. Il pétait les plombs une fois de temps en temps et brisait un bâton, mais ce n'était jamais envers ses coéquipiers. »

Avec les saisons, Gill a appris à connaître un homme capable d'être à la fois un coéquipier exemplaire, mais qui avait aussi besoin de solitude. L'ancien défenseur raconte que Price possédait un faux veau et qu'il lui arrivait de s'isoler simplement pour l'attraper au lasso et l'attacher. C'est ce qu'on appelle le calf roping en rodéo, un monde avec lequel Price est très familier.

Enfin, Gill a su tout ce qu'il avait à savoir sur Price au moment où Halak s'est imposé comme numéro un en séries éliminatoires. Leur conversation de fin de saison est bien connue : Gill avait demandé à Price s'il avait hâte de partir. Price lui avait répondu qu'il voulait rester, qu'il voulait réussir à Montréal.

« Il a traversé un dur moment quand Halak a pris la place de numéro un en séries. Tu ne peux pas être un meilleur coéquipier qu'il l'a été. Il a accepté son sort. Il a été excellent. Ç'a été un gros test pour lui. J'ai adoré le voir se relever de cette épreuve et j'ai énormément de respect pour lui. »

Voici aujourd'hui Price avec sa 314e victoire dans l'uniforme du Canadien. Huit ans plus tard, impossible d'en douter, Price a tenu parole.