Gabe Polsky n'arrêtant pas de le harceler, Viatcheslav Fetisov a donc accepté à contrecoeur d'accorder 15 minutes de son temps à l'Américain, qui préparait un documentaire à propos de la domination de l'Union soviétique que reflétait l'équipe de hockey de l'Armée rouge et sa formation nationale.

Lorsque le défenseur membre du Temple de la renommée a finalement rencontré Polsky à Moscou, ils ont passé 18 heures ensemble, réparties sur trois jours, à se souvenir et à analyser les années de gloire de ce qui est possiblement la plus grande organisation sportive soviétique.

Fetisov a peu à peu réalisé que le documentariste, qui en était à sa première oeuvre, lui offrait bien plus que l'occasion de rappeler au monde l'élégance du goût de patin et les passes rusées des Soviétiques, dont on se souvient - surtout en Occident - comme les victimes du «Miracle sur glace» survenu aux Jeux olympiques de 1980.

«Je ne sais pas, pour certaines raisons, je sentais que je pouvais aider cet homme, a dit Fetisov. C'était important de montrer aux Occidentaux ce qu'on a vécu. Il voulait parler de toute l'histoire. La plupart des gens veulent parler d'une seule histoire.»

Cette histoire, c'est celle de la victoire surprise des Américains contre l'équipe nationale de l'Union soviétique à Lake Placid au cours d'un match qui s'est déroulé dans le contexte de la Guerre froide. Fetisov fait souvent face à des regards vides lorsqu'il rappelle aux gens de l'extérieur de la Russie, que l'URSS et l'Équipe unifiée - qui a succédé à la délégation soviétique - ont remporté les trois médailles d'or olympiques suivantes, et sept de huit championnats du monde grâce à leur talent, à leur travail d'équipe et à une constance incomparable.

Mais Fetisov, qui a longtemps été le capitaine de la formation, a saisi la chance de raconter sa longue lutte pour quitter l'équipe soviétique, faire carrière dans la LNH et finalement remporter deux titres de la Coupe Stanley avec les Red Wings de Detroit.

«C'est pourquoi j'apprécie ce que Gabe a fait, de montrer au monde les épreuves que j'ai dû affronter, a déclaré Fetisov. Peut-être que ça changera la perception historique, pas seulement pour le hockey, mais pour les générations futures.»

La carrière révolutionnaire de Fetisov est au centre du film de Armée Rouge, le documentaire évocateur de Polsky qui est présenté dans certaines salles de cinéma en Amérique du Nord.

Le film, qui a reçu majoritairement des critiques positives depuis sa première à Cannes l'an dernier, permet aux spectateurs d'obtenir un aperçu de ce qui se passait derrière le rideau de fer. Ils ont également la chance de voir le quotidien des joueurs qui étaient aux prises avec l'immense tâche de transposer la puissance militaire et politique de l'Union soviétique sur la patinoire.

Armée Rouge est bien plus qu'un film de sport: les entrevues de Polsky humanisent la machine soviétique monolithique. Fetisov se rappelle des nombreux sacrifices qu'ont dû faire ses parents pour lui permettre d'avoir des patins aux pieds, tandis que les mauvais souvenirs qu'ont les joueurs du célèbre entraîneur Viktor Tikhonov transmettent une image teintée de leur succès sous son règne dictatorial.

«C'est une histoire qui n'est pas très connue dans l'Ouest parce que nous ne comprenons par l'expérience russe, ce qu'ils ont dû traverser, a expliqué Polsky. Ce film met un visage humain sur ce qu'était la Russie et sur ce qu'elle est aujourd'hui.»