Elle a le statut de meilleure ligue de développement au monde. Elle compte des joueurs de partout sur la planète, de la France comme de la Russie. La réputation de la Greater Toronto Hockey League (GTHL) n'est plus à faire. Tellement que des parents québécois vont jusqu'à déménager en Ontario pour y inscrire leur fils. Mais le prix à payer est élevé.

Un aréna dans la banlieue de Toronto. Quatre patinoires. Des voitures qui défilent devant la porte. Des ados qui en sortent, des sacs immenses sur leurs frêles épaules.

Dans les gradins, les parents jasent. «Power skating classes.» «Penalty kill.» «Look at all the scouts!» Mais dans cette mer anglophone, l'oreille québécoise est happée par quelques mots de français.

Ils sont là, trois pères québécois.

Imaginez de déménager pour que votre enfant joue au hockey. De changer de province pour qu'il ait une meilleure chance de se faire repêcher, de jouer à un haut niveau ou de recevoir une bourse d'une riche université américaine.

C'est ce que deux d'entre eux ont fait. Le troisième veut les imiter. Il envisage d'inscrire son fils dans la prestigieuse Greater Toronto Hockey League (GTHL).

La GTHL se targue d'être la plus importante association de hockey mineur au monde. Son territoire regroupe 6 millions de Torontois. C'est immense. La saison dernière, la LNH comptait un total de 69 joueurs qui sont passés à un moment ou un autre par la ligue.

«J'aimerais mieux ne pas donner mon nom, je n'ai pas reçu ma libération de Hockey Québec et je ne veux pas que ça nuise aux chances de mon fils», dit celui que l'on appellera Michel et qui, malgré ses airs de comploteur, ressemble à tout bon père de famille. Il est ici à Toronto en reconnaissance.

Son fils de 14 ans a été accepté dans une équipe midget AAA de la GTHL pour la saison prochaine. Michel pense maintenant quitter le Québec, louer un appartement à Toronto, laisser derrière lui sa femme et ses deux autres enfants afin de se lancer pour un an ou deux dans l'aventure du hockey ontarien.

«Avec ma femme et mes enfants, on aurait une relation longue distance. On ferait pas mal de route pour se voir. Ce n'est pas évident», concède Michel.

Comme lui, plusieurs parents québécois déménagent en Ontario pour le hockey. Pourquoi? Souvent parce qu'ils estiment que leur fils a plus de chances de percer en Ontario, à peu près tout le temps parce qu'ils ont une dent contre le hockey mineur québécois.

«Entre l'Ontario et le Québec, il y a un monde de différence!», constate Jean-Luc Forget, un quadragénaire verbomoteur qui adore parler de hockey.

En 2010, l'homme a décidé de faire le saut. Il a troqué sa maison de Saint-Constant, sur la Rive-Sud de Montréal, contre un appartement en demi-sous-sol à Scarborough.

Ses premiers contacts avec le hockey ontarien ont eu lieu quand son fils Pierre-Luc est venu disputer des tournois atome dans la province. L'enfant n'avait que 10 ans, mais déjà il faisait tourner les têtes.

«J'ai commencé à recevoir des appels de certaines équipes ontariennes qui voulaient que Pierre-Luc vienne jouer avec eux, explique-t-il. Ma femme et moi, on hésitait. C'est une grosse décision.»

Le «majeur-mineur»

À ce moment, Jean-Luc Forget était déjà critique du hockey québécois. Son fils était souvent le meilleur de ses équipes. L'homme était persuadé que Pierre-Luc pourrait progresser davantage dans la GTHL, puisque la ligue utilise un système «majeur-mineur».

Ce système fait en sorte que les jeunes jouent avec des joueurs de leur âge. Il n'y a pas ici de catégories sur plusieurs années comme au Québec, où un atome a 9 ou 10 ans, un pee-wee, 11 ou 12 ans, etc. La GTHL divise les catégories en deux, bantam mineur et majeur, par exemple.

«Au Québec, en deuxième année atome, ça commençait à être trop facile pour mon fils», assure Jean-Luc Forget, puisque Pierre-Luc avait 10 ans et jouait avec certains coéquipiers de 9 ans.

C'est entre autres ce qui a convaincu le père de famille. Quand il a finalement accepté de quitter le Québec pour l'Ontario en 2010, les choses n'ont pas traîné en longueur: «Il y avait un camion de déménagement fourni par l'équipe devant ma porte le lendemain, se souvient-il. Il y a de l'argent ici!»

Il n'a pas regretté son choix. Son fils est aujourd'hui un défenseur étoile des Marlboros de Toronto, une équipe mythique de la ligue qui est affiliée aux Maple Leafs.

«Les entraînements du matin se passent au centre d'entraînement des Maple Leafs. On a la permission d'aller voir l'entraînement des Leafs. Les jeunes prennent leur lunch en regardant les pros pratiquer, raconte Jean-Luc Forget. Trois fois par semaine, mon fils est avec Dawn Braid, l'entraîneuse privée de John Tavares.»

Photo Bernard Brault, La Presse

Pierre-Luc Forget et son père Luc

«Entre le Québec et l'Ontario, je vois trois différences: la qualité des entraîneurs, le niveau de jeu et la visibilité offerte aux jeunes», évalue quant à lui Nicolas Charest, père d'Olivier, un coéquipier de Pierre-Luc avec les Marlboros.

Olivier et Pierre-Luc sont deux joueurs québécois des Marlboros. Ils évoluent dans le bantam majeur et ont 14 ans. «Ici, il y a trois ou quatre très bons joueurs dans l'équipe, mais parmi le reste, personne n'est moyen, évalue Olivier Charest, un attaquant. À Montréal, il y a deux super bons joueurs, les autres sont moyens.»

Jean-Luc Forget est persuadé que son fils sera repêché dans l'Ontario Hockey League (OHL). Il voit Pierre-Luc faire ses armes dans le hockey junior majeur ontarien puis, qui sait, être repêché dans la LNH.

«Il y a beaucoup plus de dépisteurs dans la GTHL qu'au Québec, dit-il. Mon fils a une bonne visibilité et ça compte.»

L'université en premier

Michel, lui, ne rêve pas de la LNH pour son fils. Même si, selon lui, «il fait partie des 15 meilleurs joueurs nés en 2000 au Québec».

«Moi, ce n'est pas le hockey en premier, c'est l'école en premier», dit-il.

S'il envisage de déménager en Ontario et de laisser sa famille derrière, c'est pour deux raisons. D'abord, si son fils jouait dans le midget AAA au Québec, il devrait aller dans une école choisie par Hockey Québec. Cette réalité du hockey québécois est l'une des plus contestées. Elle vise à regrouper les jeunes joueurs d'élite d'une équipe dans une même école et un même programme sport-études pour faciliter l'organisation des entraînements et les déplacements.

«Si je restais au Québec, mon gars devrait fréquenter une école où je ne veux pas qu'il aille. C'est vraiment une école qui n'est pas bonne. Ce n'est pas vrai que le hockey va dicter l'école de mon fils.»

Ensuite, il espère que son fils recevra une bourse d'une université américaine. «Les dépisteurs des universités américaines ne viennent pas beaucoup au Québec à cause de la langue, explique Michel. Mais à l'âge bantam et midget, la visibilité peut changer la carrière d'un jeune. C'est un moment charnière.»

La GTHL semble donc offrir plus aux meilleurs des meilleurs joueurs : plus d'occasions, plus d'argent, donc de meilleurs tournois, plus de visibilité, un meilleur encadrement...

Mais tout cela n'est pas gratuit. Selon les calculs de Michel, le midget AAA coûte aux parents entre 8000 et 10 000 $ par année au Québec et de 15 000 à 20 000 $ en Ontario. «Le Québec reste l'endroit où le hockey élite coûte le moins cher au pays», dit-il.

Jean-Luc Forget paye par exemple 5900 $ par année à l'équipe en frais d'inscription, puis 7200 $ pour l'école secondaire publique et son programme de hockey. «Certains parents de l'équipe paient 37 000 $ pour une école privée très réputée», explique M. Forget.

Changer de maison, de province et dépenser des milliers de dollars pour le hockey mineur. Tout cela pourrait facilement être perçu comme élitiste, excessif... obsessif, même.

Mais les parents qui font ce choix l'assument. Il ne serait, selon eux, que l'aboutissement logique de cette compétition de plus en plus frénétique dans le hockey mineur: après les entraîneurs privés, les tournois qui coûtent une petite fortune et les nutritionnistes, voilà les déménagements.

«On capote tout le temps avec le hockey et les sacrifices des parents. Mais Eugenie Bouchard aussi a dû s'expatrier pour son sport, réplique Michel. Le hockey d'élite, c'est rendu comme ça. On est dedans à 100% ou on ne l'est pas.»

Photo Bernard Brault, La Presse

Olivier Charest, 14 ans, joue lui aussi pour les Marlboros de Toronto, dans le bantam majeur.

Une réalité marginale

Les jeunes hockeyeurs qui quittent le Québec à un si jeune âge représenteraient un phénomène marginal. Hockey Québec ne délivrerait qu'une poignée de «libérations» à des joueurs d'élite chaque année pour qu'ils puissent partir jouer dans une autre province. La Presse a tenté d'avoir des chiffres précis, mais malgré des demandes répétées depuis mardi, la fédération n'était toujours pas en mesure de nous fournir ces chiffres hier soir.