À 38 ans, Alex Tagliani reste au sommet de son art et s'amuse toujours à piloter des voitures de course. Ça ne l'empêche d'être très inquiet pour l'avenir du sport automobile au Québec.

Des trois pilotes qui ont écrit l'histoire du sport automobile québécois au cours des 20 dernières années, Alex Tagliani reste le plus actif à l'approche de la quarantaine.

Engagé cette année dans le Championnat IRL, il a réussi en mai l'un des plus beaux exploits de sa carrière en obtenant la position de tête des mythiques 500 milles d'Indianapolis, alors que l'épreuve célébrait son 100e anniversaire.

Ces succès cachent toutefois les milliers d'heures que Tagliani a dû consacrer à la recherche de commanditaires et de financement depuis ses débuts en 1987, ainsi que les lourds sacrifices que sa famille et lui ont dû accepter afin qu'il puisse vivre sa passion.

À 38 ans, même s'il n'est encore jamais sûr de ce que l'avenir lui réserve, Tagliani a acquis une certaine assurance et il ne se gêne pas pour dire ce qu'il pense. Il nous a accordé une longue entrevue samedi dernier, quelques heures avant la course IRL de Loudon, au New Hampshire, question de faire le point sur sa carrière, sur sa participation à la course NASCAR de samedi sur le circuit Gilles-Villeneuve et sur l'état du sport automobile au Québec.

La menace qui pèse sur l'avenir du NAPA 200, en raison notamment du refus des gouvernements de subventionner l'événement, le déçoit beaucoup. «Moi, je viens d'une famille où l'on préfère prévenir que guérir, mais on dirait qu'au Québec, on aime mieux laisser aller un événement, quitte à se plaindre après parce qu'on n'aura rien fait...

«On parle ici d'une subvention minime pour un événement qui procure des millions de dollars en retombées économiques, estime Tagliani. Il s'agit d'un investissement, pas d'une dépense, il suffit d'en parler aux hôteliers ou aux restaurateurs de Montréal. Les sommes dépensées en tourisme sont pourtant énormes au Québec.

«Ça fait des années que Jacques (Villeneuve), Pat (Carpentier) et moi, on représente le Québec partout dans le monde, a rappelé Tagliani. Quand j'ai fait la pole à Indy et que j'ai fait la tournée des grands médias américains à New York, à Chicago et à Los Angeles, on me présentait en disant que j'étais de Montréal, au Canada, et j'étais fier de représenter mon pays.

«Pourtant, je n'ai jamais eu une « hostie « de cenne de soutien! Tout le monde au Québec tire la couverte quand on a la visibilité, mais ils ne sont plus là quand on a besoin de soutien.»

Tagliani est d'autant plus cinglant qu'il croit fermement en l'avenir des événements de sports motorisés à Montréal et au Québec.

«Le public québécois a toujours fait sa part, souligne-t-il. Tout le monde, que ce soit en F1, en NASCAR ou dans les autres séries qui ont couru au Québec, adore venir ici parce que les gradins sont toujours pleins et que les amateurs connaissent le sport automobile.

«Nous avons aussi des organisateurs compétents, dont tout le monde recherche l'expertise, et qui ont toujours réussi à faire des succès des événements présentés à Montréal. On a deux courses que les gens de plusieurs pays nous envient. Les dirigeants de NASCAR ont une longue liste d'attente de promoteurs américains et étrangers prêts à payer pour obtenir une course que nous, on va laisser aller en refusant d'investir une somme ridicule...

«Les journalistes des autres pays viennent parfois me demander comment une épreuve aussi populaire que le NAPA 200 peut être menacée. Que puis-je leur répondre? Qu'on est des tatas?»

Un modèle pour les entreprises québécoises

Tagliani s'inquiète également pour les pilotes québécois de la relève. «Si une caméra me suivait pendant quelques jours et qu'on montrait le film à un jeune coureur débutant, il changerait de sport tout de suite, lance-t-il. Un Québécois qui veut réussir dans le sport automobile doit passer 90% de son temps à courir après l'argent et seulement 10% dans l'auto à faire son «métier».

«Même aujourd'hui, à mon âge et après mes succès, le ratio est encore 80%-20%. Moi, je suis fou, mais je comprends les autres d'abandonner. Pat (Carpentier) arrête parce qu'il est écoeuré de perdre tout son temps à chercher de l'argent pour ne faire qu'une course.»

Carpentier a été son coéquipier au début des années 2000 au sein de l'équipe Forsythe-Player's en Champ Car, une époque «dorée» pour les pilotes québécois. Le cigarettier MacDonald Tobacco financait une filière de développement par laquelle sont passés Tagliani et Carpentier, mais aussi Jacques Villeneuve, Claude Bourbonnais et les Canadiens Greg Moore et Paul Tracy.

«Les dirigeants de Player's n'avaient pas le choix à cause des lois sur la publicité du tabac, a rappelé Tagliani. Ils devaient faire preuve d'imagination et ont connu beaucoup de succès. «Pourquoi les dirigeants d'entreprises québécois ne s'inspirent-ils pas de ce modèle? Je crois qu'ils sont simplement paresseux. Ils prennent leurs gros budgets de publicité et mettent ça dans les mains des agences... où les gens sont tout aussi paresseux.

«Aux États-Unis, je vois plein d'exemples de multinationales - Target par exemple - qui rentabilisent largement leurs investissements en IRL avec des programmes originaux qui rejoignent un large public.

«Moi, je suis soutenu par un gars de Toronto, qui a une entreprise de chaînes stéréo en Angleterre et qui a pu, grâce à sa commandite sur ma voiture, placer ses produits dans les grandes surfaces au Canada et aux États-Unis. Pourquoi personne au Québec n'est-il capable de penser à ça?»