Les voitures de Formule 1 ne rouleront pas sur le circuit Gilles-Villeneuve le 7 juin prochain, mais à Istanbul, en Turquie. La mort annoncée du Grand Prix du Canada est maintenant confirmée. Les pertes s'annoncent lourdes pour Montréal. Comment remplacer «l'événement nº 1 au Canada»?

Le verdict est maintenant sans appel: Montréal sera privé du Grand Prix de Formule 1 en 2009. Les négociations entre les gouvernements et le grand patron de la F1 ont échoué. Québec, Montréal et Ottawa refusent de se plier aux demandes «déraisonnables» de Bernie Ecclestone.

«À moins que Bernie Ecclestone n'assouplisse ses exigences et démontre moins d'intransigeance, il n'y aura pas de Grand Prix à Montréal en 2009», a confirmé hier en conférence de presse le ministre responsable de Montréal, Raymond Bachand.

Bernie Ecclestone a rejeté sans détour le plan de sauvetage proposé la semaine dernière par les trois ordres de gouvernements dans une ultime tentative. M. Ecclestone réclamait des redevances totales de près de 175 millions de dollars en cinq ans.

Or, Ottawa, Québec et Montréal n'ont trouvé aucun promoteur prêt à garantir une telle somme. Ils ont offert à Bernie Ecclestone 110 millions de dollars et 75% de la première tranche de 10 millions de dollars de bénéfices réalisés par l'organisme à but non lucratif qui aurait géré l'activité. Cette proposition prévoyait une participation du gouvernement et des milieux touristiques à hauteur de 50 millions.

Bernie Ecclestone aurait aussi continué à percevoir tous les revenus publicitaires sur la piste ainsi que ceux de la location des loges au dessus des paddocks, estimés à 15 à 20 millions de dollars par année.

«Nous avons fait tout ce qui était humainement et financièrement possible, mais les exigences de Bernie Ecclestone sont déraisonnables pour le modèle économique et les revenus anticipés du Grand Prix de Montréal», a dit l'ex-ministre fédéral de la métropole Michael Fortier, qui a pris part aux négociations.

Raymond Bachand n'a manifesté aucun espoir, hier, de voir Bernie Ecclestone revenir sur sa décision ou que les négociations soient relancées: «On a présenté notre dernière carte financière. Elle est là. C'est terminé.»

D'autres manifestations

Le maire Gérald Tremblay ne s'est pas montré plus optimiste. Il a déjà évoqué la nécessité de trouver des manifestations susceptibles de compenser cette lourde perte.

Le 7 octobre dernier, 30 ans après le premier Grand Prix du Canada dans l'île Notre-Dame, l'épreuve a été rayée sans préavis du calendrier de la prochaine saison. Ce n'était pas la première fois que l'avenir de la course était remis en question, mais cette fois la menace avait été prise avec beaucoup plus de sérieux, et toute la classe politique s'était immédiatement mobilisée.

Une délégation de politiciens a fait un voyage express à Londres, à la fin du mois d'octobre, pour tenter de convaincre Bernie Ecclestone de changer son fusil d'épaule. Ils avaient toujours refusé de dire combien demandait le richissime homme d'affaires.

Le comité de négociation s'est montré très sévère à l'endroit de M. Ecclestone, à qui il a reproché à plusieurs reprises son intransigeance. «Ses demandes ont toujours été les mêmes. Il n'a pas monté les chiffres, mais il ne les a baissés d'aucune manière malgré la conjoncture économique difficile», a relevé Raymond Bachand.

Une lettre du grand patron de la F1, datée du 12 novembre et rendue publique hier, en témoigne: «Il n'y a aucun intérêt à débattre (des conditions économiques) en l'absence d'un support financier crédible.

«J'ai été clair et sans équivoque sur la nécessité d'obtenir une garantie gouvernementale ou d'une institution bancaire reconnue. (...) Je ne céderai pas sur ce point.»

Une lourde perte

La disparition de la course est une lourde perte pour Montréal: elle attire à elle seule 330 000 spectateurs chaque été, en plus d'une centaine de journalistes des quatre coins du monde.

Au moment où la campagne électorale bat son plein, les partis de l'opposition ont saisi cette occasion pour critiquer le bilan du gouvernement Charest. «La perte du Grand Prix s'ajoute à la longue liste de fiascos libéraux. Jean Charest nous a fait la démonstration que l'incompétence de son gouvernement coûte cher aux Québécois, trop cher!» a dit hier Nicole Léger, porte-parole du PQ pour la métropole.

Selon le président de l'ADQ, Tom Pentefountas, cette annonce confirme que Montréal a perdu «son statut de métropole rayonnante et innovante» depuis que les libéraux ont pris le pouvoir.

L'ADQ ajoute toutefois que les fonds publics ne devaient pas être dilapidés et qu'il y avait une limite qui ne pouvait être dépassée.

Les réactions ont d'ailleurs souvent oscillé, hier, entre la déception et une certaine frustration à l'endroit de M. Ecclestone. Dans un communiqué laconique publié hier soir, les promoteurs du Grand Prix du Canada ont salué la «détermination» des négociateurs vis-à-vis de «l'intransigeance» de M. Ecclestone.

«Nos décideurs ont fait un choix responsable en refusant d'accéder aux demandes déraisonnables de M. Bernie Ecclestone», a aussi relevé hier le nouveau président de la chambre de commerce de Montréal, Roger Plamondon.

Le Grand Prix de Montréal était la seule épreuve de Formule 1 en Amérique du Nord. Le nouveau calendrier de la Fédération internationale de l'automobile prévoit que les voitures rouleront à Istanbul, en Turquie, le week-end du 7 juin.

 

Chronologie

1967

Le Grand Prix du Canada, qui se déroule à Bowmanville, en Ontario, s'ajoute pour la première fois au Championnat du monde de F1.

1978

Victoire du pilote Gilles Villeneuve lors du premier Grand Prix tenu à Montréal.

1982

Le circuit de l'île Notre-Dame est rebaptisé circuit Gilles-Villeneuve, quelques semaines après la mort du pilote canadien.

1987

Le GP du Canada n'a pas lieu en raison d'un conflit qui oppose les brasseries Labatt et Molson.

2003

Exclu du calendrier 2004 à cause de l'interdiction des commandites du tabac, le GP est rétabli après que le promoteur Normand Legault, Labatt, Ottawa et Québec se furent entendus pour verser 30 millions aux écuries lésées.

2006

Normand Legault conclut une entente qui garantit la tenue du GP du Canada de 2007 à 2011.

2007

Le grand argentier de la Formule 1, Bernie Ecclestone, critique la décrépitude des installations montréalaises, comme il l'avait fait l'année précédente.

2008

Le paddock et le centre de presse du circuit Gilles-Villeneuve sont rénovés au coût de 4,5 millions. Normand Legault, Québec, Ottawa et Tourisme Montréal financent les travaux.

9 juin 2008

Lors du GP du Canada, plusieurs pilotes critiquent la mauvaise qualité du revêtement de la piste.

25 juin 2008

Le Canada figure au calendrier provisoire de la saison 2009 de F1. Le calendrier comporte alors 19 courses.

7 octobre 2008

Le GP du Canada disparaît du calendrier 2009 en raison d'un différend commercial entre l'organisation du GP du Canada et la Fédération internationale de l'automobile.

22 octobre 2008

Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, et les ministres Michael Fortier et Raymond Bachand se rendent à Londres afin de rencontrer Ecclestone. «Nous devons réfléchir», affirme le maire Tremblay.

Novembre 2008

Montréal, Ottawa et Québec poursuivent leurs négociations avec Ecclestone.

16 novembre 2008

Le maire Tremblay, en présence du ministre Bachand et de l'ex-ministre Michael Fortier, confirme la mort du Grand Prix du Canada.