Dès 2011, le Comité olympique canadien (COC) était au fait d'allégations «très sérieuses» touchant des gestes déplacés qu'aurait commis son président Marcel Aubut à l'endroit de certaines employées, a appris La Presse. L'organisme avait même demandé à M. Aubut de s'engager à cesser de «toucher» les employées, de faire devant elles des «allusions sexuelles» ou de les «embrasser», hormis des bises en guise de salutation.

L'affaire est résumée dans une lettre à l'attention de M. Aubut, datée du 13 juin 2011 et signée par Jean R. Dupré, qui était alors chef de la direction et secrétaire général du COC. La Presse l'a obtenue hier.



Mercredi, M. Aubut s'est retiré temporairement de ses fonctions, en raison du déclenchement d'une enquête interne au sein de l'organisme. Selon le Globe and Mail, l'enquête concerne une plainte pour harcèlement sexuel à l'endroit d'une employée de la Fondation olympique canadienne. Aucune enquête criminelle n'a été évoquée dans cette affaire.



Un week-end à Moncton



Or selon la lettre de juin 2011, Marcel Aubut s'était engagé il y a déjà plusieurs années à changer de comportement à l'endroit des femmes, ce qui avait convaincu le COC de ne pas déposer de plainte contre lui.



La missive indique que M. Aubut avait été rencontré le 3 juin 2011 par M. Dupré en compagnie de l'avocate interne Jolan Storch et d'un gestionnaire qui est aujourd'hui devenu chef de direction du COC, Chris Overholt. La rencontre visait à discuter de la politique du COC sur le harcèlement et «de très sérieuses allégations» dans la foulée d'un week-end d'activités à Moncton.



«Selon ce qui nous a été rapporté, l'incident comporte des commentaires déplacés de votre part voulant que  la personne devienne "votre copine"  et "vienne travailler pour vous". [Il y est aussi question] d'attouchements déplacés et d'un baiser sur les lèvres.», peut-on lire dans la lettre envoyée à Marcel Aubut.



«Cet incident a été observé par trois des olympiens» et il a «fait jaser au sein du personnel de bureau», poursuit la lettre. L'auteur poursuit en indiquant avoir reçu de l'information d'autres sources indiquant qu'il ne s'agissait pas d'un incident isolé.



Série d'engagements



«Puisque nous n'avons pas reçu de plainte formelle de la personne [concernée] et que vous nous avez assuré, Marcel, que ce genre de comportement cesserait immédiatement, aucune plainte officielle ne sera déposée cette fois», poursuit le chef de la direction.



Ce dernier énumère ensuite une liste d'instructions à l'endroit du président: 



«Cesser de toucher les gens.

«Cesser les baisers (hormis les bises en l'air en guise de salutation).

«Cesser de faire des commentaires invitant une interlocutrice à "être votre copine", à "venir travailler avec vous", ou disant "combien vous la trouvez belle" [en ajoutant]: "Pourquoi n'es-tu pas mariée?" ou "Maintenant, je sais pourquoi tu n'es pas mariée" (en insinuant qu'elle est une femme difficile).

«Cesser toute allusion sexuelle de tout ordre, que ce soit devant des hommes ou devant des femmes.

«Ne pas tenter de parler de cette rencontre ou de l'incident qui y a mené. [...] Vous devez faire comme si cette conversation n'avait jamais eu lieu.»

«Merci de votre engagement, Marcel. Nous avons de grandes choses à accomplir - concentrons nos efforts à faire du Comité olympique canadien la meilleure organisation possible et travaillons ensemble pour y arriver.», conclut la lettre envoyée à Marcel Aubut.



L'auteur de la lettre, Jean Dupré, ancien directeur général de Patinage de vitesse Canada, est arrivé en avril 2010 au COC. Il a quitté ses fonctions 18 mois plus tard, soit deux mois seulement après avoir signé la lettre à Marcel Aubut. Il citait à l'époque des «raisons personnelles».



Appelé à réagir hier, Marcel Aubut s'est refusé à tout commentaire. Un appel sur son cellulaire nous a valu d'être rappelés par Dimitri Soudas, ancien porte-parole de Stephen Harper et du COC. 

Il n'a pas voulu commenter la lettre de 2011, mais nous a renvoyé à un communiqué publié mercredi au nom de M. Aubut. «Monsieur Aubut a déclaré qu'il n'a jamais eu l'intention d'offenser ou d'indisposer quiconque par des paroles qu'il aurait prononcées dans le cadre de ses fonctions», peut-on lire dans ce communiqué.



Quant au COC, son responsable des communications n'a pas rappelé La Presse hier.



En boxer au bureau



Après l'avocate Amélia Salehabadi-Fouques dans La Presse, d'autres femmes ont dénoncé hier des comportements déplacés de Marcel Aubut. Elles n'ont toutefois pas accepté de le faire au grand jour.

Une ancienne adjointe de Marcel Aubut dans un grand cabinet d'avocats a affirmé à TVA avoir été victime d'attouchements «proche des fesses» et «sur le dessus des seins» en 2011. Un jour qu'il l'avait convoquée, elle raconte être entrée dans une salle de conférence et avoir trouvé son patron «en boxer». Elle n'a pas voulu être nommée, car elle soutient qu'elle a signé une entente de confidentialité qui l'empêche d'intenter toute action en justice en échange de 10 000 $.



Une athlète olympique jointe par La Presse a aussi raconté qu'un jour, alors qu'elle était dans le bureau de Marcel Aubut, il aurait posé sa main sur sa cuisse en lui demandant si elle «avait un chum». Elle dit l'avoir repoussé et ajoute qu'après cet incident, M. Aubut n'a plus dépassé les bornes.



À la défense de M. Aubut



Jointes par La Presse, deux de ses anciennes adjointes ont tenu à le défendre publiquement. «C'est un homme chaleureux, mais il ne ferait pas de mal à une mouche. Il est très sensible. Je n'ai jamais eu de problème avec lui», a assuré Golda Simon.



«C'est sûr que c'est un homme exigeant, envers lui-même et envers les autres. Mais je n'ai pas vu de geste déplacé ou à connotation sexuelle dans mon année et demie avec lui», a renchéri Jessica Touzin.



En revanche, certaines ex-employées, qui ont demandé que leur nom demeure confidentiel, brossaient un autre portrait du climat de travail avec M. Aubut. Elles ont décrit un climat de travail très difficile et évoqué des commentaires blessants ou déplacés.