Joëlle Numainville a survolé les championnats canadiens de cyclisme, l'an dernier, remportant coup sur coup le contre-la-montre individuel et la course sur route malgré une crevaison à cinq kilomètres de l'arrivée. Jamais elle ne se serait doutée qu'elle souffrait alors d'une commotion cérébrale subie quelques semaines avant.

Un an plus tard, la cycliste de 26 ans émerge à peine des méandres qui ont suivi ce choc à la tête dont elle ne soupçonnait pas les conséquences. Insomnie, problèmes de vision et fatigue inexplicable ont été son lot. «Un an de souffrances», résume Numainville, jointe jeudi dans le Colorado, où elle s'entraîne en altitude.

Forcée de rater les championnats canadiens de Lac-Mégantic, dont la course sur route a été remportée hier soir par Leah Kirchmann, elle espère recevoir le feu vert pour reprendre la compétition dans quelques semaines. Si tout va bien. Parce que Numainville est catégorique: pas question de revivre le cauchemar de l'an dernier. «Ce ne serait pas humain», lance-t-elle.

Incapable de rouler droit

Tout a commencé en mai 2013 à la suite d'une chute survenue au Tour de Gila, une course par étapes présentée au Nouveau-Mexique. Numainville est tombée dans une descente. Ça a tapé fort, mais elle ne se souvient pas s'être cogné la tête. «Je me sentais vraiment secouée, dit-elle. Je n'en revenais pas de m'être fait pitcher par terre à 80 kilomètres à l'heure! J'étais quand même un peu traumatisée. Mais j'étais bien placée au classement général et la fille qui s'occupait de l'équipe m'a fortement encouragée à continuer.»

Dès le lendemain, elle a commencé à éprouver des problèmes de sommeil. Elle a mis ces ennuis sur le compte de l'altitude ou du stress. Deux jours plus tard, alors qu'elle roulait en échappée, elle parvenait difficilement à maintenir sa trajectoire. «Je me souviens, je fonçais toujours dans la fille devant parce que je n'étais pas capable de rouler droit. Je me suis excusée au moins 100 fois...»

Numainville a poursuivi sa saison sans se soucier du mal qui la tenaillait. Tout au plus s'en est-elle tenue à un programme allégé. D'excellents résultats ont néanmoins été au rendez-vous, comme ces deux titres canadiens. «J'ai quand même eu de grosses années d'entraînement, explique-t-elle. J'ai fait un bon build-up pour les Jeux olympiques de Londres [12e à la route].»

Cependant, son insomnie ne faisait que s'aggraver. Même une double dose de somnifères ne lui permettait pas de trouver le sommeil. Elle n'arrivait pas non plus à reprendre des forces entre deux entraînements. «Même si ça n'allait pas bien côté sommeil, ça ne se voyait pas en surface. J'arrivais à bien me débrouiller [en course].»

Elle a «frappé le mur à 100 km/h» en septembre après sa participation à deux courses par étapes en Europe. En dépit de son épuisement, elle a pris part aux Mondiaux de Florence, prenant le départ des trois épreuves.

Longue rééducation

Une pause en octobre lui a permis de retrouver un cycle de sommeil normal. Mais les problèmes sont réapparus dès son retour à l'entraînement. Lors de certains exercices en salle, l'athlète originaire de Laval peinait parfois à garder l'équilibre. Dans tout ce brouhaha, elle a complété son baccalauréat en finances à l'Université du Québec à Montréal, en plus d'effectuer un stage à la Financière Banque Nationale, où le café était de rigueur les lendemains de nuit blanche.

La nature de ses symptômes pouvait laisser croire au médecin qu'elle souffrait d'une dépression. Ce n'est qu'en janvier, après des examens cognitifs plus poussés, que le diagnostic de commotion est tombé. Un examen de la vue a été particulièrement révélateur: Numainville ne parvenait pas à distinguer la portion droite d'une image. C'est là qu'elle a compris la cause de ces contacts avec sa partenaire d'échappée au Tour de Gila.

La rééducation a été longue et pénible, partagée entre les entraînements physiques et cognitifs. «Les traitements pour la vision sont très exigeants, souligne-t-elle. Intellectuellement, ça demande un effort énorme. Après les traitements, je n'étais pas capable de me rendre chez moi. J'étais perdue, égarée.»

Après un hiver de remise en forme à l'intérieur, Numainville a renoué avec la compétition en avril sous les couleurs d'Optum-Kelly Benefit Strategies, son équipe depuis 2012. Avec succès, mais les ennuis de sommeil ont recommencé. Elle a préféré se retirer dans l'espoir de revenir pour la deuxième moitié de saison.

Numainville sent la pression de courir à nouveau, mais préfère jouer de prudence. «La commotion, ce n'est pas tout le monde qui comprend ça, avance-t-elle. Il y a même des gens dans mon équipe dont je ne suis pas sûre à 100% qu'ils me croient tout le temps. C'est dur d'en parler.» Et d'en sortir.