Ça veut dire « à notre tour « en langue corse. Le slogan est bien visible sur les panneaux publicitaires un peu partout dans l'île. Comme sur l'estrade érigée près du petit port de plaisance de Porto-Vecchio, qui sera le théâtre, ce soir, de la traditionnelle présentation des coureurs du 100e Tour de France.

La Corse est la seule région que le Tour de France n'avait jamais visitée. Un peu gênant quand on a plus de 100 ans et qu'on est déjà allé en Irlande, au Luxembourg et aux Pays-Bas.

« C'est l'événement sportif du siècle en Corse «, avance Julien Antona, 32 ans, fier Corse et employé d'une boutique de téléphonie.

Reconnue pour ses plages, Porto-Vecchio, première ville touristique de Corse (sud-est), compte 12 000 habitants l'hiver, et près de 100 000 en haute saison. Comment fait-on pour y accueillir le plus grand événement cycliste de la planète et les 4500 personnes qui gravitent autour ? On fait de la place.

Ainsi est débarqué le Mega Smeralda, navire de la Corsica Ferries, qui servira de quartier général au Tour pour toute la portion corse : permanence, bureaux, salle de presse et de conférences et stationnement pour les véhicules de l'organisation.

Amarré depuis mardi au port de commerce, l'imposant traversier tout en jaune, couleur de circonstances, partira demain soir vers Bastia, prochaine ville-étape, et ainsi de suite à Ajaccio (dimanche) et Île-Rousse (lundi), avant de rallier Nice pour le contre-la-montre par équipe de mardi. Les employés d'ASO, l'organisateur, et des journalistes y séjournent. Depuis hier, ces derniers sont invités à récupérer leur accréditation au Sailors Pub, tout au bout du huitième pont.

À l'extérieur, la vue sur Porto-Vecchio et ses fortifications génoises du XVIe siècle est imprenable. Au loin, des nuages gris restaient accrochés aux montagnes de la forêt de l'Ospedale, annonciateurs de la pluie qui allait, pour 15 minutes, ralentir les ardeurs des vacanciers en fin d'après-midi.

Les mécanos d'Europcar, eux, ne chômaient pas. Ils avaient quelques dizaines de vélos Lapierre à remonter pour le lendemain. L'équipe de David Veilleux loge à 300 mètres du Smeralda, face au port.

Arrivé mercredi, le cycliste de Cap-Rouge s'apprête à devenir le deuxième Québécois depuis Pierre Gachon, en 1937, à prendre le départ du Tour de France. Avec lui, sur la ligne, il y aura deux autres Canadiens, un record : les Britanno-Colombiens Ryder Hesjedal, qui voudra racheter une saison marquée par la maladie et la malchance, et Svein Tuft, qui découvrira la Grande Boucle à 36 ans.

Julien Antona, le fier Corse, sera là samedi pour les encourager lorsqu'ils passeront près de chez lui, à Ghisonaccia, au milieu de la côte est. Sur le plan sportif, comme ses concitoyens français, il ne fait pas exception à la règle et préfère avant tout le soccer. Le SC Bastia est en ligue 1 et a été finaliste à la Coupe UEFA dans les années 70, souligne-t-il.

Mais le Tour reste le Tour. À défaut de mettre en lumière les particularités politiques et historiques de la Corse, « première démocratie « moderne, dixit Julien Antona, sa télédiffusion dans 190 pays produira des retombées touristiques et économiques : « On espère bien, parce que cette saison s'annonce un peu difficile au vu de la crise. «

Malgré des routes magnifiques et une topographie unique en Méditerranée (plus de 100 sommets dépassant 2000 mètres), le cyclisme reste marginal dans « l'île de Beauté «, qui préfère se laisser découvrir par les marcheurs fringants.

Un Tour de Corse existe depuis 1920 et a déjà été remporté par Bernard Hinault, mais il est devenu une course amateur. Le Critérium international, remporté en mars par le Britannique Christopher Froome, principal favori du prochain Tour, est disputé à Porto-Vecchio depuis 2010. Le Comité régional corse de cyclisme, qui veut « changer de braquet «, espère atteindre 1000 licenciés d'ici... 2015. Sinon, il y aura toujours la plage, la forêt et les montagnes.

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Y'a d'la joie

Malgré les sommations de mes deux patrons, La course secrète, le livre coup de poing de Tyler Hamilton publié au Québec chez Hurtubise, traînait sur ma table de chevet depuis plusieurs semaines. À trois jours de mon départ pour le Tour de France, il était temps de le lire.

Méchante façon de se mettre dans le bain.

On a beau « savoir », l'ouvrage écrit avec le journaliste Daniel Coyle, sans compromis et bien ficelé, est passionnant, et franchement troublant. Étrangement, on s'attache à Hamilton, cet ancien skieur, fils de bonne famille du Massachusetts, qui choisit de se doper et de tricher à fond la caisse. Sans doute est- ce le contraste avec Lance Armstrong, décrit dans toute sa mesquinerie et son despotisme, sans que son ancien lieutenant ait à peser sur le crayon ou exprime la moindre rancoeur. J'ai sauté dans le taxi littéralement après avoir tourné la dernière page. Douze heures plus tard, j'entre à la FNAC de l'aéroport d'Orly.

Sur le présentoir consacré à ce 100e Tour, quelques DVD commémoratifs, le programme officiel et deux livres : celui d'Hamilton et le nouvel ouvrage de Pierre Ballester, Fin de cycle : autopsie d'un système corrompu. Décidément. Avant de monter dans l'avion pour Ajaccio, j'achète L' Équipe « nouveau ». Toujours le même papier mince, que je chiffonnerai joyeusement, mais une mise en page plus aérée et un contenu remodelé et mieux « ramassé », disons. Il n'y a pas que La Presse qui se réinvente. Page 15, un article de l'incontournable Damien Ressiot : « Jalabert rattrapé par son ombre ». On apprend, sans surprise, avouons-le, que Laurent Jalabert, le dernier grand champion français, était dopé à l'EPO lors du Tour 1998, celui du scandale Festina. Refusant les aveux, « Jaja » a démissionné de son poste de consultant à la télé et la radio.

Les Français perdent un commentateur éclairé et respecté. Y'a d'la joie.