Il aspirait aux cimes et aux cieux, et celui que l'on surnommait le dieu de l'escalade les aura finalement atteints. Patrick Edlinger, grimpeur d'exception qui a hissé son sport vers des sommets de popularité, s'est éteint le 16 novembre, dans le sud-est de la France.

Bien qu'ayant défié la mort sans retenue au gré de ses exploits, c'est à son domicile que l'athlète a été retrouvé sans vie, à l'âge de 52 ans. À l'heure d'écrire ces lignes, les causes de son décès demeurent inconnues. Rapidement, la nouvelle s'est répandue comme une traînée de «pof», créant une vive émotion dans la communauté des grimpeurs.

Véritable bête de la paroi, Edlinger excellait dans l'escalade solo (sans partenaire d'assurage), qu'il pratiquait parfois sans corde ni système d'auto-assurage. Au fil des années 1980, il s'est engagé dans des voies toujours plus corsées; repoussant plus loin, et surtout plus haut, les limites de l'époque: La Boule, Les Spécialistes, ou Azincourt, autant de voies cotées entre 8a et 8c (l'équivalent d'un niveau situé entre 5.13 et 5.14 en Amérique du Nord) qui n'ont pu lui résister.

«Le solo intégral, c'est vraiment l'escalade suprême. Tu n'as aucun artifice, c'est un engagement total psychologique et physique», relatait celui qui affectionnait les parois provençales, notamment celles des Gorges du Verdon - une véritable Mecque pour les grimpeurs, dans le sud-est de la France.

Les échos de ses exploits ont vite outrepassé les frontières hexagonales, renforcés par ses succès: en 1986, il finit en tête de l'une des premières compétitions internationales d'escalade, en Italie.

Prises et reprises

Mais c'est le grand écran qui l'élèvera dans le coeur du public, grâce une série de documentaires dévoilant l'homme et sa discipline. La Vie au bout des doigts, sorti en 1982, puis Opéra Vertical, ont largement contribué à créer un fort engouement pour l'escalade, tout immortalisant des scènes procurant, encore aujourd'hui, des frissons aux amateurs.

Edlinger y définissait également sa propre philosophie du sport, prônant un mode de vie simple et une approche esthétique: «C'est une expression corporelle au même titre que la danse, sauf que la chorégraphie est dictée par les prises», raconte «Le Blond» dans La Vie au bout des doigts. À sa suite, nombreux seront ceux à entrer dans la danse pour lui emboîter le pas.

La vie face au vide

Patrick Edlinger aura nargué la mort tout au long de sa carrière. S'engageant seul dans des voies extrêmes, grimpant parfois à la seule force de ses bras, suspendu uniquement par ses pieds, il s'exposait, à chaque mouvement, à des chutes dont l'issue aurait été fatale. Par souci de «pureté», il lui arrivait aussi d'escalader sans chaussons, à pieds nus.

En 1995, l'accident qui le guettait depuis de si longues années finit par se produire. Alors que le sportif s'exerce sur l'un de ses terrains de jeu favoris, les calanques de Provence (sur la côte méditerranéenne), une prise cède. 18 mètres, soit environ 60 pieds: la dégringolade est vertigineuse. La Faucheuse, clémente. Réanimé après un arrêt cardiaque, Edlinger s'en sort miraculeusement. Mais il mettra définitivement une bride à sa carrière de grimpeur de haut niveau, même s'il continuera à pratiquer.

Que les grimpeurs québécois n'omettent pas, une fois parvenus au sommet de leur voie, de lever les yeux pour remercier ce géant de la grimpe: sans l'influence d'Edlinger, l'escalade n'aurait certainement pas connu tel pic de popularité.

Photo AFP