Martin Gilbert n'aura pas volé sa place aux Jeux olympiques. Demain, le cycliste de Châteauguay prendra part à la course à l'américaine au vélodrome de Laoshan, sorte de soucoupe volante posée à l'ouest de Pékin. Gilbert, 25 ans, chevauchera un rutilant vélo canadien prêté par les Danois. Ainsi va le cyclisme au Canada.

Gilbert a brisé la selle de son seul vélo lors d'un entraînement. Le collègue Robert Laflamme, de La Presse Canadienne, a été le premier à raconter l'histoire. L'article a été traduit et a fait le tour du Canada le temps de dire Internet.

Gilbert a par la suite été au centre d'un mouvement de sympathie dont il s'étonne encore de l'ampleur. Il a reçu des courriels de plusieurs fabricants qui voulaient l'aider. Un Torontois a même proposé d'en acheter un et de lui envoyer par colis.

Mais le temps pressait, et la Chine, c'est loin. Les dirigeants de l'équipe canadienne ont donc cogné à quelques portes. «On est connu. Les autres pays savent que le Canada, c'est un peu bric-à-brac», dit Gilbert.

Aux Jeux d'Athènes, en 2004, Éric van den Eynde, l'entraîneur personnel de Gilbert, avait lui-même emprunté des roues à la France et à l'Australie pour permettre à Lori Ann Muenzer de rouler vers l'or olympique.

Cette fois à la recherche d'un vélo de rechange, les Canadiens ont d'abord cogné à la porte du Centre mondial du cyclisme. Basé en Suisse, ce centre de formation rattaché à l'UCI se destine au développement du sport pour les pays privés de ressources et d'équipements adéquats. Richard Wooles, entraîneur pour l'équipe canadienne à Pékin, y a travaillé. Le centre était disposé à prêter un vélo à Gilbert, mais il était une taille trop grande.

La solution est finalement venue de Cervélo, un fabricant canadien. Mis au courant de la déveine de Gilbert, le cofondateur de Cervélo, Gérard Vroomen, a donné un coup de fil aux Danois, qu'il commandite.

Deux jours avant la course, Gilbert avait donc son vélo. Encore fallait-il qu'il se sente à l'aise. Il est tombé en amour avec dès les premiers coups de pédale. Aujourd'hui, veille de la course, il devait prendre part à un dernier et seul entraînement avec son coéquipier Zach Bell, surprenant septième à la course aux points de samedi.

Gilbert estime réaliste de se glisser dans le top 10, peut-être mieux. «Individuellement, on est incroyablement en forme, mais on n'a pas fait un seul relais ensemble depuis huit mois», relève-t-il.

Gilbert, un bon vivant, raconte ça en riant. Mais il ne faut pas lui demander ce qu'il pense de sa fédération.

Avec l'aide de quelques amis, Gilbert a tracé lui seul son chemin vers Pékin. Dès l'hiver 2007, il s'est mis à échafauder le calendrier le plus sûr pour se qualifier. Il a payé une bonne partie de ses dépenses pour participer aux Coupes du monde, où il arrivait sans mécano ni soigneur.

Aux Mondiaux de Manchester, au printemps, Gilbert et son partenaire Ryan McKenzie n'avaient qu'à devancer un ou deux pays pour réintégrer le top 15 mondial et s'assurer une place aux Jeux olympiques. McKenzie n'avait cependant pas la forme pour tenir le rythme d'une course de ce niveau. Le Canada a reculé au 16e rang.

Croyant son rêve olympique terminé, Gilbert s'envolait le lendemain vers la Californie pour reprendre sa saison sur route. Mais il a su que l'UCI avait quelques cartes d'invitation dans sa manche.

Aidé de Mathieu Toulouse, vététiste de métier et éminent chroniqueur à Vélo Mag, Gilbert a rédigé une lettre pour vendre sa salade à l'UCI. Il nous en fait parvenir une copie par courriel. Il y soulève entre autres les difficultés pour un cycliste canadien de s'entraîner durant l'hiver alors que la saison de Coupe du monde bat son plein. Il n'a pas pris le temps d'expliquer pour le Biodôme et ses pingouins.

«De surcroît, peut-on y lire, notre budget est malheureusement fort limité et nous n'avons pas les moyens de payer des camps d'entraînement à l'étranger à nos athlètes.» La lettre a été approuvée par l'Association cycliste canadienne (ACC) avant d'être envoyée à M. Gilles Peruzzi, coordonnateur piste à l'UCI.

Une semaine plus tard, en surfant sur l'Internet, Gilbert tombe sur le numéro de l'UCI. Il ouvre son logiciel Skype et compose à tout hasard. La secrétaire répond. «M. Peruzzi S.V.P.» Qui puis-je annoncer? «Euh Martin Gilbert, équipe nationale du Canada.»

Au mieux, il pensait tomber sur une autre secrétaire. Quelques secondes plus tard, il avait M. Peruzzi au bout du fil. Il a confirmé réception de la lettre et s'est montré réceptif.

Sans nouvelle pendant des semaines, Gilbert croyait son chien mort quand l'ACC lui a annoncé la bonne nouvelle. Avant de boucler ses valises, il a cependant dû défendre sa sélection devant un arbitre. McKenzie contestait la sélection... Gilbert tient d'ailleurs à remercier Claude Pinard, un ami et un commanditaire (Saputo), qui l'a épaulé dans le processus.

Ainsi va la vie d'un athlète canadien.