Silhouette à peine épaissie, traits un peu plus creusés, Bernard Hinault a gardé le caractère franc, têtu, direct, qui en fit le champion absolu de son époque avec cinq Tours de France à son palmarès, le premier en 1978.

Le dernier Français vainqueur du Tour - en 1985 !- s'est remis au vélo depuis dix-huit mois. Il a mis en fermage son exploitation agricole de Calorguen (Côtes d'Armor), faute de relève de la part de ses deux enfants.

«Je ne vois pas pourquoi j'irais me crever le cul s'ils n'ont pas envie de prendre la suite», expliquait-il récemment au magazine «Bretons». Et de raconter que ses deux garçons n'ont jamais fait du sport que pour s'amuser, jamais en compétition: «Même dans les autres sports qu'ils ont pratiqués, ils ont toujours entendu: t'es pas aussi bon que ton père. Dans ces cas-là, tu les décourages et puis ils arrêtent.»

Hinault, qui est maintenant âgé de 53 ans, travaille pour ASO, la société organisatrice du Tour et de nombreuses autres épreuves, entre 100 et 120 jours par an. Il s'occupe pour l'essentiel des VIP, en accueille deux dans sa voiture bleue pour leur montrer la course de près puis vient à la cérémonie protocolaire.

«Beaucoup ne connaissaient pas le cyclisme de cette manière-là. Quand ils voient ça de l'intérieur, ils en sortent un peu plus savants», remarque le Breton d'Yffiniac (Côtes d'Armor), qui appartient à la légende de son sport. Car Hinault, passé pro en 1975, imposa plus d'une décennie durant sa marque, faite d'orgueil, de panache, de moments de rage aussi pendant lesquels il serrait les mâchoires et bandait ses muscles, prêt à mordre comme le «blaireau», le surnom qu'il avait accepté de bon gré.

«Les rapports humains étaient simples»

Du mémorable Liège-Bastogne-Liège 1980 gagné sous la neige -il en garda deux doigts gelés- au Championnat du monde de Sallanches qu'il écrasa la même année, les faits d'armes abondent. Dans le Tour surtout qui contribua à sa légende, jusque par son départ en catimini à Pau, le maillot jaune sur les épaules mais un genou endommagé avant la grande étape des Pyrénées en 1980.

Vainqueur dès sa première participation (1978), Hinault réalisa une série prodigieuse de cinq victoires et de deux deuxièmes places. Quand il raccrocha son vélo en novembre 1986, le jour de son 32e anniversaire, il possédait le deuxième palmarès de l'histoire du cyclisme, derrière l'intouchable champion belge Eddy Merckx.

Charly Mottet, qui le côtoya avant que le Breton s'émancipe de la tutelle de Cyrille Guimard (Renault) pour devenir le chef d'une équipe montée par Bernard Tapie (la Vie Claire), a brossé pour L'Equipe légendes le portrait de son ancien leader: «Avec lui, les rapports humains étaient simples. Blancs ou noirs. Jamais de demi-mesure. On a souvent parlé de ses colères. Il y avait toujours une explication. Pour moi, le Blaireau, c'est un mec droit, fidèle, juste, même avec le plus humble de ses équipiers. Après, il n'y avait pas de compromis.»

Impulsif, Hinault a résumé ainsi sa vision du champion, cet oiseau rare que recherche le cyclisme français: «Un sportif de haut niveau, c'est un tigre, un tueur. C'est le vainqueur. Le deuxième, c'est le mouton, celui qui s'est fait bouffer. Si tu as ça dans l'esprit, quelle que soit l'époque, tu y arriveras.»