La saison des déménagements approche à grands pas. Pour plusieurs, c'est le moment de se débarrasser de ce qui encombre la maison. Si bien des gens se tournent vers les friperies ou l'Armée du Salut pour donner une seconde vie à leurs objets, d'autres les déposent tout bonnement à l'écocentre de leur quartier, comme de vieux débris. Mais tout ne prendra pas le chemin du site d'enfouissement pour autant. Il s'en faut.

À l'ombre de l'École de technologie supérieure, dans Griffintown, une petite rue résiste on ne sait trop comment à la spéculation immobilière. Là, entre une vieille maison de briques rouges et ce qui semble un atelier désaffecté, se trouve un entrepôt presque anonyme aux fenêtres poussiéreuses. Une porte de garage marquée d'un grand « A » et du sigle ARTE, une petite porte bleue portant la même enseigne, voilà tout ce qui distingue ce bâtiment de ses voisins décrépits. Mais poussez seulement cette porte bleue.

Rien ne vous prépare au choc que vous allez vivre. C'est ici qu'aboutit tout, absolument tout ce qui a été déposé dans l'un des sept écocentres de Montréal depuis près de 10 ans. Enfin, tout ce qui était le moindrement réutilisable, réparable et, bien sûr, revendable : meubles, articles de sport, jouets, bibelots, vêtements, lustres, livres... tout ! Cela s'empile, monte à l'assaut des murs, dessine des couloirs, forme un labyrinthe poussiéreux qui étouffe les sons. 

Ici, un vertigineux corridor de chaises empilées jusqu'au plafond (haut, le plafond). Là, un poêle à bois vert avec un morceau qui pend. Ailleurs, un véritable autel d'église, deux pianos édentés, un harmonium asthmatique. Plus loin, des matériaux de construction, des piles de vaisselle, des alignements de globes multicolores. C'est comme ça sur les 13 000 pi2 de l'immeuble, et cela fait les délices des accessoiristes de théâtre et de cinéma autant que des chineurs occasionnels et des collectionneurs.

Le responsable de ce joyeux capharnaüm s'appelle Stéphane Tremblay. Natif de Chicoutimi-Nord, il a migré à Montréal en 1991 pour étudier en design de mode au Collège LaSalle. Après cinq ans à travailler comme designer patroniste, l'envie lui a pris de lancer sa propre entreprise. Il a suivi une formation en ce sens au Regroupement économique et social du Sud-Ouest (RESO) et, quelque temps plus tard, après deux ans à travailler comme préposé au triage à l'écocentre Eadie, dans le Sud-Ouest, il a décroché le contrat de gestion de ce centre. Puis d'un autre. Et d'un autre encore. 

De fil en aiguille, il s'est retrouvé responsable des sept écocentres de Montréal, où son entreprise, ARTE (Artisans du renouveau et de la transformation écologique), récupère tout ce qui peut être récupéré.

Insertion professionnelle

ARTE ne fait pas que favoriser le réemploi des objets. Elle donne aussi de l'emploi à des gens qui, autrement, n'en auraient pas. Au plus fort de la saison, en été, Stéphane Tremblay compte sur une équipe de 14 personnes, toutes aux prises avec des problèmes de santé mentale et en processus d'insertion avec l'OBNL L'Arrimage.

À 47 ans, Stéphane Tremblay a encore l'allure d'un ado, et il en a la fougue aussi. Son bureau déborde d'objets trop précieux ou fragiles pour être entreposés avec le reste, comme ces deux magnifiques secrétaires en marqueterie, en vente pour 2700 $ chacun, ou ce lustre Art déco, qu'il évalue à environ 250 $. Comment fixe-t-il le prix des choses ? 

« On va voir sur internet, chez les antiquaires, et on demande 30 %, 35 % de moins. À force d'en voir, aussi, on finit par connaître ça un peu... »

Mine de rien, son chiffre d'affaires, en 2015, a atteint 305 000 $, et il estime que, dans la même période, 130 000 tonnes de marchandise ont transité par son entrepôt, soit 40 000 de plus qu'en 2014. C'est dire si la brocante a de l'avenir ! 

Dans pareil bric-à-brac, on peut tout trouver... ou rien du tout ! Si l'on cherche quelque chose en particulier, on peut se fier à Stéphane Tremblay, qui connaît son stock par coeur. On pourrait même dire avec le coeur, tant il semble passionné par ce qu'il fait. 

Autrement, on peut se contenter d'errer au hasard dans ces allées surréalistes, de se laisser attirer par un lustre de porcelaine rococo, un tableau anonyme, une chaise qui ouvre les bras...

Photo François Roy, La Presse

Stéphane Tremblay dans son royaume