Le point de vue. En photographie, c'est souvent ce qui fait la différence entre l'artiste et le photographe du dimanche.

Menno Aden photographie des chambres et des salons en plaçant son appareil photo au plafond. Il peut donner l'impression de se prendre pour Big Brother. Mais ce qu'il souhaite au fond, c'est raconter les «petites histoires» qui émergent de ce point de vue inusité.

Il n'est pas question de décoration, ici, ni de Décormag ou des Idées de ma maison. Menno Aden, 41 ans, s'affiche comme artiste. Il fréquente les galeries d'art de l'Allemagne, de la Hongrie, de la Suisse, de l'Italie, des États-Unis et de la Thaïlande, avec des photos plus complexes qu'elles n'y paraissent.

Il vit et travaille à Berlin, d'où il nous a appelés la semaine dernière, heureux et étonné de l'enthousiasme provoqué à Québec par sa production. Mais comment rester indifférent devant cette épicerie du coin qui ressemble, vue d'en haut, à un circuit intégré d'ordinateur? Comment ne pas être touché par la solitude de cet homme assis devant son assiette et les murs immensément blancs de son appartement? La symétrie et la pagaille font partie de l'humain au même titre que la beauté et la laideur, ces photos en témoignent.

Ordre, désordre, symétrie...

Inspiré par les satellites et Google Earth, Menno Aden a commencé à se photographier lui-même de cette façon au début des années 2000, pour «tenir un journal» de ses activités quotidiennes. La curiosité lui servait de moteur. La nourriture et la forme des assiettes lui sont alors apparues comme un arrangement de formes abstraites. Il a montré ses photos à des amis qui lui ont suggéré d'en tirer une exposition et de la proposer à des galeries. «De là-haut, ça semble plus à l'ordre que dans la réalité», a-t-il observé.

Si chaque cliché lui réserve une surprise, il recèle chaque fois une symétrie qui lui plaît. «Ce n'est jamais arrangé, assure-t-il. J'essaie d'être honnête. Je ne planifie rien. Je vais chez des amis, je cherche le bon éclairage, les objets intéressants.»

Menno Aden ne se contente pas de l'univers domestique. Il photographie également des magasins, des cabinets de dentiste, des salles de classe, des voitures de métro, des ascenseurs, des stationnements intérieurs. Privilégiant la même démarche, il a déjà photographié des pièces en posant son appareil photo au sol.

Techniquement, il réalise ses oeuvres en plusieurs étapes. Il ne suffit pas d'un seul clic pour arriver à une telle clarté. L'artiste utilise un monopode de moins de deux mètres de hauteur sur lequel il fixe son appareil photo. Il se sert d'un contrôle à distance et d'un petit moniteur. «Je scanne la pièce», résume-t-il.

La photo résulte de l'assemblage par ordinateur de plusieurs plans du lieu. «Je ne voulais pas avoir l'effet d'une photo prise au grand angle», explique-t-il.

Ses photos racontent nos «petites histoires», nos vies en quête d'ordre et de symétrie, notre siècle obsédé par l'omniprésence des caméras, nos sociétés marquées par un voyeurisme devenu banal.

Chaque spectateur y perçoit en somme le reflet de son âme: une maison de marionnettes ou une prison, la solitude universelle ou l'organisation naturelle, les angles droits ou un lit défait.

Pour en voir davantage: mennoaden.com

Photo fournie par Menno Aden

Un lit défait, une porte entrouverte, un pupitre: cette chambre banale est magnifiée par la prise de vue.