À en croire des experts, les statues, monuments et drapeaux symboliques des anciens États esclavagistes des États-Unis continueront de tomber au pays puisqu'il y a une réelle prise de conscience sur la signification de ces artefacts tirés d'une époque où les Afro-Américains étaient considérés comme inférieurs aux Blancs.

Dans la foulée des violences à Charlottesville, en Virginie, plusieurs personnes ont appelé à se débarrasser de ces monuments historiques qui commémorent entre autres la guerre civile aux États-Unis.

Les incidents ont même résonné à Montréal, où la Compagnie de la Baie d'Hudson a décidé de retirer de l'un de ses édifices une plaque commémorative de Jefferson Davis, le président des États confédérés du sud des États-Unis pendant la guerre civile.

C'est loin d'être la première fois dans l'histoire du monde que des symboles d'une époque révolue sont retirés parce qu'ils ne sont plus perçus comme acceptables à un moment précis.

«La mémoire, c'est quelque chose qui est subjectif, l'histoire au contraire c'est quelque chose qui est objectif. Il y a des choses que la mémoire collective décide de conserver, et d'autres, de supprimer», a expliqué Benjamin Deruelle, professeur en histoire à l'Université du Québec à Montréal (UQAM)

M. Deruelle souligne que de telles remises en question surviennent généralement dans des moments de crise, de tensions ou de transformations de la société qui poussent les autorités ou la population à se débarrasser de ces artefacts.

«Regardez ce qui s'est passé au moment de la révolution arabe il y a quelques années, on s'en est pris aux statues. Regardez ce qui s'est passé au moment de la Révolution française, les gens se sont attaqués aux symboles du pouvoir», a ajouté ce spécialiste de l'histoire des représentations, du discours et des pratiques.

«Le contexte dans lequel nous vivons aujourd'hui est déterminant dans les choix mémoriels que font nos sociétés.»

Selon des spécialistes des États-Unis, malgré cette levée de boucliers importante de la part des mouvements suprémacistes blancs, les autorités continueront de retirer ces symboles pour apaiser les tensions.

L'importance du contexte américain

Pierre Martin, politologue à l'Université de Montréal, explique cette prise de conscience par le fait que la population des États du sud est de plus en plus multiculturelle et remet en question certains symboles qui auparavant faisaient partie du décor.

M. Martin souligne que ces monuments historiques devant lesquels passent chaque jour les Afro-Américains leur rappellent constamment cette époque sombre où ils étaient opprimés par la majorité blanche.

Si la décision de retirer ceux-ci est accueillie par des protestations, c'est que selon lui, les Blancs américains se révoltent de leur position moins dominante au sein d'un pays désormais cosmopolite.

La politologue et historienne française, Nicole Bacharan, a d'ailleurs fait remarquer que plusieurs artefacts sont beaucoup plus récents que la guerre civile que veulent commémorer certains Américains. Certains symboles remontent plutôt au début du 20e siècle et même aux années 1960 alors que la ségrégation était courante dans les États du sud.

En entrevue téléphonique, Mme Bacharan a suggéré qu'une bonne partie des manifestants qui militent pour conserver ces statues en évoquant des raisons historiques «vivent en fait dans le présent avec des idées racistes».

«Ce qui se passe aujourd'hui aux États-Unis, c'est qu'il y a une situation de tension, que cette tension se cristallise autour des symboles de la guerre de Sécession et qu'il y a des mémoires qui sont concurrentes. Et ces mémoires concurrentes entrent en friction sur les lignes de fractures de la société américaine», a résumé M. Deruelle.

Washington, personnage controversé?

En début de semaine, le président Trump avait laissé entendre que le général sudiste Robert Lee était loin d'être le seul personnage historique américain à avoir un lourd passé, rappelant que George Washington, le père des États-Unis, avait lui-même eu des esclaves.

Selon Pierre Martin, cela démontre «sa profonde méconnaissance» d'une figure emblématique des États-Unis auparavant «inattaquable», qui était certes «un homme de son époque», mais qui s'est tout de même battu toute sa vie pour construire un pays uni.

Nicole Bacharan estime qu'il est «légitime» de rappeler certaines facettes sombres des personnages historiques, mais il est important selon elle de placer ces éléments dans un plus large contexte et de considérer les accomplissements de l'homme dans son ensemble.

La statue de Duplessis au Québec

Le Québec a vécu un exemple semblable de «sélection historique» dans les années 1960-1970. Alors qu'elle avait été sculptée en 1960, la statue de l'ex-premier ministre Maurice Duplessis est restée dans les placards parce que le Parti libéral de l'époque avait refusé d'exposer l'ancien dirigeant qui représentait la «grande noirceur».

Le premier ministre de l'époque, Jean Lesage, disait craindre les «débordements populaires», relate le Musée canadien de l'histoire dans un article sur l'époque Duplessis.

La statue de bronze de l'artiste Émile Brunet est restée dans l'ombre pendant 17 ans avant que le premier ministre péquiste René Lévesque décide de l'exposer sur la Grande Allée, à l'Assemblée nationale, en 1977.

En dévoilant la statue, le premier ministre Lévesque avait reconnu que l'ex-premier ministre Duplessis avait notamment défendu le Québec au sein du Canada et contribué à accélérer le développement économique de la province.

Dans un discours, il avait souligné l'importance d'afficher cette statue «pour nous souvenir, pour lier le passé au présent, parce que quand on perd les traces du passé, on risque de perdre le sens de la direction pour l'avenir».