La Cour suprême des États-Unis se penche pour la première fois lundi sur la liberté d'expression sur internet, pour dire si des menaces de mort sur Facebook sont porteuses d'une intention de nuire ou protégées par la Constitution, comme une chanson de rap.

«Il y a une manière de t'aimer mais des milliers de te tuer. Je n'aurai pas de repos, tant que ton corps ne sera pas en morceaux, baignant dans le sang, de ses plaies agonisant. Dépêche-toi, crève, salope!», écrivait, sur le réseau social, un mari éploré par sa séparation.

Les neuf juges de la haute Cour, dont aucun ne semble avoir de compte Facebook, diront si ces propos virulents relèvent de la liberté d'expression et sont protégés à ce titre par la Constitution américaine.

Arrêté et inculpé, Anthony Elonis prétend que ses messages n'avaient qu'une vertu «thérapeutique», sans jamais la moindre «intention» de tuer, et qu'ils ne constituaient donc pas «une vraie menace».

Il assure en outre que sa condamnation permettrait de poursuivre toutes sortes d'auteurs dans la culture populaire, chanteurs de rap ou autres dessinateurs de bande dessinée.

Pour le gouvernement Obama, au contraire, la loi interdit «les vraies menaces, définies comme des déclarations qu'une personne raisonnable peut interpréter comme l'expression sérieuse d'une intention de nuire».

«Une menace d'attentat à la bombe, qui semble sérieuse, est nuisible quel que soit l'état d'esprit de celui qui la profère», écrit le gouvernement, dans son argumentaire devant la haute Cour, en réclamant que la condamnation de M. Elonis soit confirmée.

Dans cette affaire susceptible d'avoir des répercussions sur les violences ou harcèlements sur les réseaux sociaux, le gouvernement a reçu le soutien de plusieurs associations contre les violences domestiques.

En première instance, maintenu en appel, le plaignant avait été condamné à trois ans et demi de prison et trois ans de liberté surveillée.

«Dites-le, le gouvernement ne peut pas l'interdire» 

À la manière d'Eminem et d'autres rappeurs, Anthony Elonis s'était mis à publier de multiples messages violents sur son compte Facebook, quand sa femme l'avait quitté en mai 2010 avec leurs deux enfants, après sept ans de mariage.

«Saviez-vous que c'est illégal pour moi de dire que je veux tuer ma femme? C'est illégal. C'est un outrage criminel indirect. [...] mais je ne le dis pas effectivement. Je vous fais juste savoir que c'est illégal pour moi de le dire. C'est comme un service public que je vous rends».

Placé sous contrôle judiciaire avec une interdiction de s'approcher de son épouse, qui se sentait «extrêmement terrorisée», le mari abandonné avait élargi ses menaces à une agente du FBI venue l'interroger, en menaçant la policière de la faire exploser avec une bombe, ou encore à ses anciens employeurs d'un parc d'attractions de Pennsylvanie. Il avait aussi menacé une des écoles élémentaires de la ville de «la fusillade la plus haineuse jamais imaginée».

«Plie en quatre ton contrôle judiciaire et fourre-le bien dans ta poche. Est-il assez épais pour stopper une balle?», écrivait-il encore à sa femme sur Facebook, six mois après la rupture conjugale.

Ce sera la première fois que la Cour suprême examine les limites de la liberté d'expression sur les réseaux sociaux. Mais la haute Cour s'est déjà frottée aux nouvelles technologies (GPS, téléphones mobiles, jeux vidéo) et elle «est dans de bonnes dispositions pour protéger le Premier amendement et la liberté d'expression dans les médias modernes et la culture populaire», estime William Marshall, professeur de droit à l'Université de Caroline du Nord.

«Dans tous les cas, la Cour a [systématiquement] renversé l'interdiction ou la restriction [de la liberté de parole] comme empiétant sur les droits du Premier amendement», a rappelé l'expert Steven Schwinn.

En substance, elle a toujours délivré le même message: «si vous n'aimez pas ce discours, dites-le, mais le gouvernement ne peut pas l'interdire», explique le professeur de droit de l'École John Marshall.

«Compte tenu de cette tendance, il est difficile d'envisager que cette Cour se prononce contre Elonis», même si son discours était «particulièrement méprisable».