«Je savais que j'allais pleurer, mais je ne savais pas que ce serait des pleurs de joie aussi profonds, venus de si loin, qui libéreraient une grande douleur...»

Vel Johnson avait son bonnet présidentiel quand elle est arrivée hier matin chez Valois, un des diners préférés de Barack Obama, à Hyde Park, où les convives étaient invités à suivre l'investiture sur un écran géant tout en prenant leur petit-déjeuner.

 

Quand le président a prêté serment, les larmes ont commencé à couler sur les joues de bronze de Mme Johnson, comme elles avaient coulé le soir de son élection.

«C'est venu d'ici, explique-t-elle, en mettant la main sous ses côtes. Une dette vient d'être payée.»

Assise un peu plus loin, vêtue d'un t-shirt présidentiel décoré de macarons présidentiels, armée de sa tasse commémorative, Greta trinque au café avec son groupe d'amies, des dames d'un certain âge, de toutes les races et de tous les horizons.

«Moi, dit-elle, j'ai tellement pleuré le soir des élections que, aujourd'hui, il ne me reste plus que de la joie. C'est tellement incroyable ce qui arrive. Jamais je n'aurais cru voir, durant ma vie, un Noir devenir président.»

Quand on a grandi à une époque où les jeunes Afro-Américaines devaient encore subir la ségrégation scolaire, on peut difficilement croire à quel point le monde a changé. «Imaginez, dit la dame, si mes parents voyaient ça...»

À Chicago, la pauvreté des ghettos, la piètre qualité des écoles publiques des quartiers noirs, la criminalité et les nombreux autres problèmes sociaux et économiques de la communauté afro-américaine rappellent quotidiennement que l'égalité des chances n'a toujours pas été atteinte.

Comme le nouveau président le souligne constamment, il y a encore beaucoup de route à parcourir et d'obstacles à franchir avant que tous les Américains, de toutes origines, aient les mêmes outils, les mêmes portes ouvertes, accès aux mêmes voies pour partir dans cette fameuse quête du bonheur dont parle la Déclaration d'indépendance.

Mais hier matin, chez Valois, dans cette foule multiraciale en liesse qui mangeait du steak et des oeufs à 10h, où les gens s'embrassaient d'abord et se présentaient ensuite, on avait vraiment l'impression d'avoir quand même fait plusieurs pas dans ce chemin ardu.

«C'est vivre l'Histoire, confie Courtney Thurmond, étudiante à la maîtrise à l'Université DeVry, à Chicago. Il a déjà changé nos vies. Regardez cette salle, c'est comme un repas en famille, avec ces gens de toutes les races qui célèbrent ensemble.»

Deborah Schwab, qui a fait une heure de train et de bus pour venir célébrer dans son ancien quartier, est tout à fait d'accord. «Enfin, on voit de l'ouverture. Et on la voit déjà, au quotidien», dit-elle en séchant ses larmes. «Regarde mon visage, tu peux comprendre que je ne suis pas comme les autres», dit-elle en expliquant qu'elle est d'origine néerlandaise, sans en dire plus. On pourrait se demander, en la voyant, si elle est noire, blanche ou asiatique, ou rien de tout cela ou tout en même temps.

«Ce n'est pas toujours facile. Mais là, on voit déjà que les gens ne jugent plus comme avant.»