Paradoxe dans le domaine des eaux usées municipales : un nouveau règlement en apparence plus sévère est en vigueur depuis le 1er janvier 2014.

Mais il n'y a plus personne au gouvernement du Québec pour surveiller la performance des usines d'épuration et réseaux d'égout. On ne réagit qu'en cas de plainte et dans les situations extrêmes.

Avant, deux équipes de techniciens et d'ingénieurs, totalisant une douzaine de personnes, passaient en revue toutes les données fournies par les municipalités, rappelle la Fondation Rivières.

Des visites sur le terrain se faisaient tous les cinq ans. Et un rapport annuel était publié chaque année.

Cette surveillance a maintenant disparu, remplacée par une autosurveillance des municipalités.

« Il y a encore un contrôle sporadique qui se fait, mais il n'est pas systématique, explique Denis Lapointe, maire de Salaberry-de-Valleyfield et président de la Commission permanente de l'environnement à l'Union des municipalités du Québec. On est tenus d'aviser des déversements et s'il y en a, il va y avoir une visite. »

« Une ville a une part d'autosurveillance à faire, mais il y a des citoyens partout pour surveiller ces choses-là, ajoute M. Lapointe. La connaissance des gens a évolué et ils sont plus éduqués. Et il y a encore un ministère de l'Environnement qui voit à l'application et qui analyse les données et les performances. »

Pourtant, comme l'a affirmé le Vérificateur général du Québec en 2013, « il est indispensable qu'un suivi régulier et en temps opportun soit réalisé en vue d'assurer le respect des exigences fixées ».

« Les opérateurs regardent ce qui sort du bout du tuyau, mais le gouvernement ne surveille plus les équipements sur le terrain, dénonce Richard Latraverse, porte-parole de la Fondation Rivières dans ce dossier. Pendant ce temps, il y en a qui lésinent sur les frais d'opération et d'entretien. »

M. Latraverse est un ingénieur qui a fait sa carrière au ministère de l'Environnement et aux Affaires municipales, dans le domaine du traitement des eaux usées.

Il ajoute qu'il y a des limites à s'en remettre aux alertes des citoyens. 

« Les coliformes ne se voient pas à l'oeil nu. Et les gens ne voient rien quand les tuyaux sont sous le niveau de l'eau. »

Même si le nouveau règlement québécois est conforme à la réglementation pancanadienne en matière de traitement des eaux usées, la surveillance de sa mise en oeuvre n'est plus assurée par une autorité supérieure, ce qui suscite les critiques.

« Quand on met des beaux règlements et qu'on ne contrôle rien, ça me fait toujours rire », affirme à ce sujet Michel Gagnon, de l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec.

Un problème persistant

En 2013, dans l'ultime rapport annuel de surveillance des ouvrages municipaux d'assainissement des eaux (SOMAE), il y a eu 609 débordements par temps sec.

Pourtant, selon une recension de la Fondation Rivières, il n'y a eu que sept amendes de 1000 $ imposées entre janvier 2014 et avril 2016 à des municipalités en vertu du nouveau règlement. Et toutes pour des retards administratifs, non pour des déversements illégaux.

De plus, une soixantaine d'usines d'épuration, dont la plupart des plus importantes comme celles de Montréal, Longueuil, Laval et Québec, bénéficient d'un sursis jusqu'en 2030 ou 2040 avant d'être soumises aux nouvelles normes.

Quant aux citoyens, de nouveaux obstacles se dressent devant eux.

En effet, en l'absence d'un bilan annuel publié par le ministère des Affaires municipales (MAMOT), les données sur les performances des ouvrages municipaux sont éparpillées et plus difficiles d'accès.

« La municipalité doit transmettre son rapport annuel à toute personne qui en fait la demande, explique le ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC). Les municipalités n'ont cependant pas l'obligation de diffuser systématiquement leur rapport annuel [par exemple sur leur site web] et il n'y a pas de format prescrit. »

Par ailleurs, la sous-performance de nombreux systèmes d'égout et d'assainissement n'est pas près de se résorber et la corriger demandera d'importants investissements.

« Depuis la construction des premiers systèmes d'épuration, les villes ont grossi, les systèmes ont vieilli, relate Denis Lapointe. On arrive 20 ans plus tard avec des stations d'épuration qui sont désuètes. La croissance a fait que la quantité d'eaux usées a augmenté. Les capacités d'usine ne sont plus au rendez-vous et les débordements sont de plus en plus fréquents. On a beau "patcher", mais il faut maintenant revoir toutes les installations. »

Dans la foulée des débordements médiatisés, le Parti québécois, qui a pourtant présidé à l'adoption du règlement de 2014, propose maintenant « davantage d'inspections et l'application de sanctions plus systématiques et sévères aux municipalités fautives ».

Quant au gouvernement libéral actuel, il a dirigé les questions de La Presse adressées au cabinet du ministre David Heurtel vers les fonctionnaires du MDDELCC.