Bouteilles de plastique, papiers de toilette, seringues: des tonnes d'objets et de sédiments seront déversées directement dans le fleuve, sans compter les matières fécales et les pathogènes, si la Ville va de l'avant avec son projet controversé. Or, les eaux traitées par l'usine d'épuration de Montréal sont à peine moins contaminées que l'eau qui doit être déversée, avancent deux experts interrogés par La Presse.

Qu'est-ce qui sera déversé exactement dans le fleuve?

Environ quatre tonnes de résidus d'objets se retrouveront directement dans le fleuve, en plus d'une soixantaine de tonnes de sable et de sédiments, selon Abdelaziz Gherrou, chercheur spécialisé dans le traitement des eaux usées au Centre des technologies de l'eau. Ces objets visibles à l'oeil nu ne seront toutefois que la pointe de l'iceberg, puisqu'une importante quantité de phosphore et d'autres pathogènes et contaminants seront libérés dans la nature sans traitement. De 8 à 9 millions d'unités de colonies de coliformes fécaux par 100 millilitres d'eau seront déversées graduellement pendant une semaine. À titre de comparaison, une seule unité de coliforme par 100 ml découverte dans l'eau potable entraîne un avis d'ébullition.

Qu'est-ce que la station d'épuration de Montréal traite habituellement?

L'unique station d'épuration de la Ville de Montréal traite en moyenne l'équivalent de deux Stades olympiques d'eau par jour, trois Stades s'il pleut beaucoup, image Sébastien Sauvé, professeur titulaire en chimie environnementale à l'Université de Montréal. Or, la station d'épuration montréalaise élimine seulement 80 % des matières en suspension et au mieux 50 % de la contamination bactériologique et des contaminants solubles, résume Abdelaziz Gherrou. «Nous avons vraiment le minimum. Moins que ça, on serait dans un pays en voie de développement», lance M. Sauvé, implacable. L'expert déplore notamment qu'aucune désinfection de l'eau ne soit réalisée. «Pour ce qui est de la contamination bactérienne: les virus, les parasites, les maladies, il n'y a pas une grosse différence entre ce qui est rejeté tous les jours et ce qu'on propose de rejeter pendant une semaine», tranche-t-il.

Huit milliards de litres d'eau, c'est beaucoup pour le fleuve?

Ce n'est pas beaucoup, toutes proportions gardées, en raison du débit «énorme» du Saint-Laurent, maintiennent les experts. Celui-ci fluctue entre 6000 et 8000 m3 par seconde (6 à 8 millions de litres d'eau), alors que le déversement envisagé par la Ville représente 13 m3 d'eaux usées par seconde (13 000 litres) pendant une semaine. «Le fleuve va diluer beaucoup [l'eau déversée]. Sans traitement, on a un impact environnemental, alors avec un tiers d'eaux usées non traitées, cet impact-là va augmenter un peu. Sauf que pour une semaine de déversement, personne ne peut vous dire quel sera l'impact réel sur la faune et la flore», explique Abdelaziz Gherrou.

Où vogueront donc les eaux usées?

Les éléments les plus légers des eaux usées déversées voyageront sur le fleuve Saint-Laurent jusqu'au golfe du même nom, comme le font jour après jour les médicaments, détergents et autres contaminants qui passent à travers les mailles de la station d'épuration. Les résidus les plus denses se déposeront tout simplement au fond du fleuve, tandis que «sur les berges, on va trouver toutes sortes de cochonneries qui vont flotter pendant un certain temps», soutient Abdelaziz Gherrou. Par ailleurs, l'eau de surface du fleuve devrait être plus trouble, près de l'île de Montréal, et ce, jusqu'à quelques heures après la fin du déversement.

Est-ce que les villes en aval qui s'approvisionnent en eau potable dans le fleuve seront touchées?

Non, selon les experts. «Ça ne change rien, parce que la station d'épuration rejette déjà une charge de contaminants qui est très élevée et une charge de pathogènes qui est très élevée. Les villes en aval de Montréal ont des stations de traitement d'eau potable qui savent gérer ça», indique Sébastien Sauvé, directeur académique de l'Institut de l'Environnement, du développement durable et de l'économie circulaire. «Au niveau de la qualité de l'eau potable qui va sortir, on ne pense pas qu'il va y avoir un quelconque impact», estime Abdelaziz Gherrou.

Quels sont les risques concrets pour l'environnement?

Ils sont difficiles à quantifier puisque le déversement ne durera qu'une semaine, mais tout porte à croire qu'il y aura un certain impact sur la faune et la flore. «Quand il y a plus de résidus, de sédiments et de matières en suspension qui se déposent au fond du fleuve, ça peut colmater les endroits où les poissons vont se reproduire. Ça va avoir un impact sur la vie aquatique», explique Abdelaziz Gherrou. Selon le professeur Sébastien Sauvé, les poissons sont déjà perturbés par les contaminants et les antibiotiques qui sont non traités par la station d'épuration. «Il y a plein de choses là-dedans qui sont inquiétantes», résume-t-il.