Le gouvernement nigérian et le géant pétrolier Shell étaient vendredi sur la sellette au lendemain de la publication d'une étude sans précédent de l'ONU qui les met en cause dans la pollution pétrolière de grande ampleur touchant le sud du pays.

L'enquête du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) établit scientifiquement l'étendue et l'impact des dommages dans l'Oginiland, au coeur du delta du Niger, la zone pétrolifère du premier producteur de brut d'Afrique.

La compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC) et de nombreux groupes étrangers opèrent dans le delta. L'anglo-néerlandais Shell, le plus ancien et le plus important d'entre eux, particulièrement implanté dans l'Ogoniland, fut contraint de quitter cette région en 1993 en raison des troubles.

Mais des oléoducs appartenant à sa coentreprise avec la NNPC continuent de quadriller la zone où la pollution est désormais telle qu'elle pourrait nécessiter l'opération de nettoyage la plus vaste jamais entreprise au monde, selon le PNUE.

Beaucoup d'Ogonis qui vivent dans un environnement souillé où ils ne peuvent plus ni pêcher ni cultiver, sont amers et reprochent à Shell leur sort.

Le rapport du PNUE, le plus important jamais établi, contient «des preuves» que les majors et les autorités d'Abuja «ne peuvent plus ignorer», selon Audrey Gaughran, d'Amnesty International.

«Il est possible qu'il y ait davantage d'actions en justice, en raison du rapport de l'ONU, mais aussi parce que beaucoup de gens ont entendu parler de l'affaire à Londres», a-t-elle déclaré à l'AFP, en référence à une procédure judiciaire contre Shell, lancée au Royaume-Uni. Mercredi, le groupe a reconnu sa responsabilité dans deux marées noires dans l'Ogoniland.

L'avocat nigérian renommé Femi Falana a jugé «formidable» le travail de l'ONU «qui confirme d'une certaine manière les souffrances exprimées par le peuple Ogoni depuis des années».

Cette «base scientifique endossée par l'ONU» va permettre «à des gens de formuler des demandes légitimes», a-t-il estimé.

Le PNUE épingle Shell dans l'étude. Il relève notamment que «le contrôle et l'entretien des installations pétrolières dans l'Ogoniland demeurent inadéquats: les propres procédures de Shell Petroleum Development Company (SPDC) n'ont pas été respectées, conduisant à des problèmes de santé publique et de sécurité».

«Dans au moins dix communautés Ogoni, où l'eau potable est contaminée avec des niveaux élevés d'hydrocarbures, la santé publique est sérieusement menacée», note aussi l'agence onusienne, précisant que l'une de ces communautés est située à proximité d'un oléoduc de la NNPC.

La restauration environnementale complète pourrait prendre jusqu'à 30 ans et le PNUE recommande la création d'un fonds spécial dans lequel les groupes pétroliers et le gouvernement sont appelés à verser un milliard de dollars.

Shell a réaffirmé jeudi que «la plupart des fuites» étaient le résultat «de sabotage, vol et raffinage clandestin».

Dans une interview diffusée sur YouTube, Mutiu Sunmonu, directeur général de SPDC, qui gère les opérations nigérianes pour Shell, déclare que tant que ces activités perdurent, «on ne peut pas faire grand-chose pour mettre fin au problème des fuites».

Selon Amnesty, ces activités illégales sont une cause récente de pollution et Shell est responsable de la majorité des fuites dans l'Ogoniland ces dernières 50 années.

Le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (Mosop) s'est réjoui du rapport tout en estimant que cela ne suffisait pas.

«Ce qu'attendent les Ogonis, c'est un nettoyage de notre environnement ravagé», a déclaré dans un communiqué le groupe qui demande la révocation de la licence de Shell.

L'Ogoniland est la région natale de l'activiste et défenseur de l'environnement Ken Saro-Wiwa, exécuté en 1995 par le régime militaire d'alors.

Son fils, Ken Saro-Wiwa Junior a jugé que l'étude était une «victoire».

Évoquant son père, il a déclaré à l'AFP: «Je pense qu'il observe tout cela de là-haut avec un grand sourire».