La crise du recyclage prend de l'ampleur au Québec. Plusieurs villes de la Rive-Sud et de l'Estrie disent avoir été avisées au cours des derniers jours que leur service risquait d'être perturbé. À moins de revoir leurs contrats et de payer plus.

« Ce n'est pas une crise municipale »

Saint-Basile-le-Grand ignore si sa collecte de recyclage aura lieu jeudi, son fournisseur disant ne plus avoir d'endroit où déposer les matières recyclables. Le centre de tri de Sherbrooke a fermé ses portes pendant deux semaines, perturbant la collecte et laissant des montagnes de papiers pêle-mêle. À Longueuil, l'entreprise assurant le recyclage demande pour poursuivre ses activités de tripler la facture de son contrat... conclu un mois plus tôt.

Au moins deux entreprises de recyclage auprès de dizaines de municipalités ont demandé de revoir à la hausse leurs contrats. Elles plaident la chute du prix des matières recyclées depuis que la Chine leur a fermé ses portes, en janvier.

Si Montréal a accepté d'allonger 27 millions pour maintenir les activités de son centre de tri, des villes refusent de payer. Au risque de voir la collecte perturbée.

« Il y a présentement une espèce d'effet boule de neige. [Les entreprises de recyclage] ont cogné à plusieurs portes, dans les MRC, à Longueuil, à Sherbrooke. Si on réagit à la pièce, c'est dangereux », estime la mairesse de Longueuil, Sylvie Parent.

Contrat à renégocier

En février, Longueuil accordait à l'entreprise Recyclage de papiers MD des contrats pour un total de 2,6 millions afin de gérer la collecte des matières recyclables pour trois ans. 

« Le service commençait le 1er mai et, le 24 mai, on recevait une lettre nous disant qu'il y avait péril en la demeure. Ce n'est pas vrai qu'en trois semaines, la situation s'est tant détériorée », affirme Mme Parent.

Dans sa lettre, l'entreprise, qui n'a pas rappelé La Presse, affirme perdre 1,3 million par mois en raison de la fermeture du marché chinois. Si Longueuil refuse de renégocier, Recyclage de papiers MD prévient qu'elle devra « prendre des actions drastiques ».

La mairesse interpelle Québec, Recyc-Québec et l'Union des municipalités du Québec (UMQ) afin de trouver une solution commune, plutôt que de laisser les villes gérer la crise chacune dans son coin. « Ce n'est pas une crise municipale, le problème est beaucoup plus grand. Ce n'est pas vrai que donner plus d'argent à la compagnie va régler le problème. Même si je lui donnais ce qu'elle demande, que va-t-elle faire de mon papier? [En quoi] le fait d'avoir plus d'argent va faire que son problème va être réglé ? Va-t-elle l'envoyer à l'enfouissement ? »

D'autres y passent

Trois autres villes de la Montérégie, Chambly, Saint-Basile-le-Grand et Mont-Saint-Hilaire, ont reçu une lettre similaire la semaine dernière de leur fournisseur, Ricova. L'entreprise y explique que le centre de tri où elle acheminait les matières recyclables a fermé ses portes mardi en raison de la crise. Du coup, elle demande de renégocier à la hausse pour trouver une autre façon de prendre en charge les matières recyclables.

« On a dit non. C'est ça, le risque de l'entreprise privée. C'est lui qui a la patate chaude. Il a pris des risques et ça s'avère être trop », affirme Jean-Marie Beaupré, directeur général de Saint-Basile-le-Grand.

Ricova avait remporté l'appel d'offres pour la municipalité il y a trois ans en demandant 5 $ par tonne de matières recyclables. Son plus proche concurrent demandait 50 $ à l'époque. Aujourd'hui, l'entreprise veut obtenir 70 $ la tonne pour poursuivre le service, dit M. Beaupré.

Ayant refusé, Saint-Basile ignore si les camions passeront ce matin pour enlever le contenu des bacs de ses citoyens. Craignant le pire, Jean-Marie Beaupré dit déjà avoir avisé l'assureur de son fournisseur qu'il comptait se prévaloir de la caution si l'entreprise mettait fin à ses services.

Le directeur général estime que l'entreprise est responsable de ses malheurs. Si elle avait investi pour mieux traiter les matières, elle pourrait les vendre à des papetières locales qui exigent un faible taux de contamination. « Ils ont décidé d'aller en Chine parce que c'était moins compliqué. Ils ont pris un risque. C'est correct, ils ont fait de l'argent pendant deux ans et demi, mais là, ils vont en perdre pendant six mois », dit M. Beaupré.

Plan B cherche plan B

Mont-Saint-Hilaire aussi refuse de renégocier le contrat de son fournisseur. « Notre position est ferme : c'est un contrat ferme, il n'y a pas possibilité de renégocier et on n'a pas l'intention de renégocier », tranche le maire Yves Corriveau.

Si l'entreprise devait cesser d'assurer le service, Mont-Saint-Hilaire a déjà trouvé un plan B : se joindre à la collecte de municipalités voisines, qui n'ont pas encore été touchées par la crise.

Or, le plan B de Mont-Saint-Hilaire travaille lui-même... à son propre plan B. La MRC de la Vallée-du-Richelieu a récemment été avisée que son centre de tri risquait aussi de fermer, si bien qu'elle pourrait se retrouver sans endroit où se départir des matières recyclables. Léo Fradette, coordonnateur de la gestion des matières résiduelles à la MRC, se dit en voie d'élaborer une solution pour s'assurer que la collecte continue à être traitée et n'aboutisse pas à l'enfouissement. « Il ne faudrait pas aller sur ce terrain, ce ne serait pas un bon choix », estime-t-il.

Fermeture à Sherbrooke

Le problème touche aussi l'Estrie, où l'entreprise chargée de la gestion du centre de tri de Sherbrooke, Ricova, a demandé une révision de son contrat. Récup Estrie, régie regroupant la Ville de Sherbrooke et cinq MRC environnantes, a toutefois refusé. Celle-ci a plutôt décidé d'expulser son fournisseur, déplorant de voir des montagnes de papier s'accumuler pêle-mêle autour du bâtiment.

Les citoyens de Sherbrooke l'ont bien ressenti. Depuis le début de juin, quatre collectes ont dû être reportées, les camions n'ayant plus d'endroit où porter leur contenu. On a finalement décidé de les envoyer dans un autre centre, à 75 minutes de route, afin que les matières soient mises en ballots, puis rapportées à Sherbrooke afin d'être entreposées en attendant la reprise des activités.

Après deux semaines d'inactivité, le centre de tri a repris ses activités mercredi. Le retour à la normale s'annonce long, environ 1500 tonnes de matières recyclables s'étant accumulées dans l'établissement et les environs. « On n'avait jamais rien vu de tel. C'est monstrueux, il y a tellement de matière, ça fait peur », dit Pierre Avard, conseiller municipal de Sherbrooke, qui siège chez Récup Estrie.

Pendant que les centres de tri peinent à exporter, les papetières doivent importer

Alors que le Québec n'arrive plus à exporter son papier collecté dans les bacs bleus ou verts, les papetières québécoises doivent en importer du reste du Canada et des États-Unis. Les ballots sortant des centres de tri sont tout simplement trop contaminés pour être utilisés.

La papetière Kruger consomme 720 000 tonnes de matières recyclables par année pour produire du carton recyclé. Du lot, environ 40 % proviennent du Québec. Le reste doit être acheté dans le reste du Canada et aux États-Unis.

La fibre récupérée au Québec ne provient pas des centres de tri, mais des secteurs industriel et commercial, où la qualité est davantage au rendez-vous. 

« C'est pas mal plus propre. L'industriel met sa boîte de carton dans le bac, ce n'est pas mélangé à plein de produits. On reçoit du carton quasiment pur. » - Paul de Blois, vice-président au recyclage chez Kruger

Moins de 1 % du papier mixte acheté par la papetière provient des centres de tri où les Québécois envoient leurs matières recyclables. Le problème ? « Le papier est contaminé. Nous, ce qu'on veut, c'est de la fibre, mais il y a toutes sortes de produits dedans qui n'est pas du papier, comme du plastique, des canettes ou du verre », résume Paul de Blois.

La papetière évalue que la matière provenant des centres de tri est contaminée de 15 % à 20 %, ce qui coûte cher à l'entreprise. « Si on achète du carton à 150 tonnes, ça veut dire qu'on a acheté des déchets à 150 $ la tonne. On paye pour le transport. On paye pour le nettoyer. Puis on paye pour les enfouir en plus de payer une redevance », énumère Paul de Blois

Kruger assure qu'elle pourrait utiliser plus de papier provenant du Québec. La papetière vient de bâtir une nouvelle usine à Trois-Rivières qui pourrait en intégrer davantage dans sa production. Mais pour ce faire, la qualité devra davantage être au rendez-vous. L'entreprise souligne d'ailleurs qu'elle aurait tout avantage à s'approvisionner davantage au Québec. « Pour nous, une grosse partie de nos coûts, c'est le transport. Alors plus on peut s'approvisionner proche, plus c'est avantageux », souligne Paul de Blois.