Un projet résidentiel sème la controverse en Montérégie, où Québec et Ottawa continuent d'ignorer les avis de leurs experts respectifs pour assurer la protection d'une espèce en péril. Une situation qui n'est pas sans inquiéter Nature Québec, qui réclame depuis mai dernier l'intervention du ministre fédéral de l'Environnement à La Prairie, sur la Rive-Sud. Explications.

Avec des promoteurs privés, la Ville de La Prairie entend réaliser un projet domiciliaire de 1200 unités évalué à 300 millions de dollars dans le Bois de la Commune. Le projet est contesté par des citoyens et des groupes écologistes. Le territoire abrite l'une des neuf dernières populations d'une espèce en péril en Montérégie, soit la rainette faux-grillon. La grenouille mesurant moins de 4 cm est considérée comme espèce vulnérable par le gouvernement du Québec. Au fédéral, elle a le statut d'espèce menacée depuis 2010. À La Prairie, la rainette a vu son habitat diminuer considérablement au cours des dernières années. Entre 2004 et 2009, elle a perdu la moitié de ses étangs de reproduction.

Un décret d'urgence?

Après une première demande en mai 2013 qui est restée lettre morte, Nature Québec revient à la charge en novembre dernier et met en demeure la ministre fédérale de l'Environnement, Leona Aglukkaq, de faire adopter un décret d'urgence en vertu de l'article 80 de la Loi sur les espèces en péril. Dans sa réponse, le gouvernement canadien affirmait alors vouloir d'autres informations sur la situation de la rainette avant de prendre une décision. «Nous n'avons eu depuis aucune nouvelle d'Environnement Canada», affirme Christian Simard, directeur général de Nature Québec. Par ailleurs, Ottawa a été critiqué plus d'une fois ces derniers mois pour son inaction en matière de protection des espèces en péril.

L'avis des experts

Les experts d'Environnement Canada se sont pourtant affairés à préparer un avis qui indique que le projet domiciliaire, s'il va de l'avant, va entraîner la disparition de la rainette à La Prairie. Un fonctionnaire qui travaille dans la région de la Capitale nationale a affirmé à La Presse qu'un avis a été préparé après la première demande de décret d'urgence par Nature Québec, en mai. L'avis a été remis à la ministre il y a plusieurs mois. «Dans ce dossier, le fédéral et le provincial travaillent main dans la main pour ne rien faire», avance-t-il.

Faibles chances de survie

Le 5 février dernier, les experts de l'équipe de rétablissement de la rainette faux-grillon ont transmis un avis au ministère du Développement durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs du Québec (MDDEFP). Ce troisième avis depuis 2007 rappelle que les chances de survie de l'espèce sont faibles à La Prairie. Malgré les demandes de l'équipe, le Ministère a refusé de rendre public cet avis. L'équipe de rétablissement, composée d'experts gouvernementaux et de représentants écologistes, avance que «si la tendance se maintient, les certificats qui seront délivrés dans les prochaines semaines pour autoriser le développement dans le Bois de la Commune à La Prairie vont à l'encontre du rétablissement de l'espèce».

Science-fiction?

Le 10 février dernier, le MDDEFP a donné le feu vert à La Prairie en vertu de l'article 22 de la Loi sur la qualité de l'environnement. Des travaux sont autorisés dans la zone de conservation prévue par la Ville, adjacente au projet résidentiel. On doit notamment procéder à l'aménagement de quatre étangs de reproduction pour la rainette. «C'est de la vraie science-fiction, affirme Tommy Montpetit, chargé de projet au Centre d'information en environnement de Longueuil. Cette expérience a été tentée à Longueuil en 2010, mais il faut attendre 15 à 20 ans avant de crier victoire. Nous avons mis au point un protocole expérimental, et pour l'instant, rien ne permet de croire que la rainette va adopter ce nouvel habitat créé par l'homme.»

La position de La Prairie

Un dernier certificat d'autorisation demandé par La Prairie est à l'étude au MDDEFP avant de procéder à l'installation du réseau d'égouts et d'aqueduc. «La Ville a été innovatrice dans ce dossier, déclare son directeur général, Jean Bergeron. Cinquante pour cent du territoire sera protégé. Nous allons créer en collaboration avec Nature-Action Québec un parc de conservation de 80 hectares, une première au Québec. Nous allons investir plusieurs millions pour l'aménagement de ce parc. La Ville a aussi formé un comité spécial pour la conseiller dans ce dossier.» La Prairie prévoit des revenus fonciers annuels de 2 millions avec ce projet résidentiel.

Photo fournie par Vigile Verte

Photo prise à l'automne 2013, du tracé d'une future rue dans le Bois de la Commune, à La Prairie.