Confrontés à la crise économique, les industriels réduisent leur production et achètent moins de droits à polluer, dont les prix chutent sur le marché européen du carbone, montrant les limites d'un mécanisme censé les inciter à se doter d'usines vertes.

Sur ce marché, où s'échangent des permis d'émission de CO2, ou «droits à polluer», le prix de la tonne a été pratiquement divisé par trois depuis l'été 2008, époque à laquelle il flirtait avec les 30 euros.

Passée pour la première fois, début février, sous la barre des 10 euros, la tonne de CO2 se négociait cette semaine à 9,20 euros sur le marché au comptant de BlueNext, basé à Paris.

L'explication est simple: la crise provoque une baisse de l'activité chez les producteurs d'électricité, cimentiers, sidérurgistes, qui émettent par conséquent moins de CO2. La demande de «droits à polluer», qui ont été fixés par l'UE pour la période 2008-2012, est donc moindre et le prix baisse.

«On considère qu'un point de croissance de PIB en moins en Europe, c'est 30 millions de tonnes de CO2 en moins. Il y a un effet mécanique qui joue», explique David Rapin, directeur du développement de BlueNext.

Certes, la baisse des émissions de gaz à effet de serre liée à la crise que traverse l'économie mondiale est, à court terme, une bonne nouvelle pour l'environnement.

Mais la crainte est, qu'en l'absence de l'aiguillon que constitue un prix élevé du carbone, les investissements dans les énergies renouvelables et les technologies moins polluantes ne marquent le pas.

«Ce n'est pas une bonne nouvelle pour les investissements verts. Tant que le prix du CO2 est bas, les industriels, par myopie, ne feront pas les investissements qui sont nécessaires à moyen et long terme», estime Damien Demailly, de WWF France.

«L'instabilité du prix du CO2, qui est inhérente au marché carbone, est une des faiblesses du système», explique-t-il.

Chaque Etat membre de l'UE s'est vu allouer un quota d'émissions de CO2 qui a été réparti entre les différentes industries. Dans la pratique, les entreprises qui émettent moins que leur quota peuvent vendre des droits d'émission sur le marché.

Pour certains experts, la situation actuelle plaide en faveur d'une réforme, ou d'un aménagement de ce marché.

«C'est la crise qui "fait le boulot" et on ne fait rien en plus. Les investissements verts sont découragés, alors qu'il aurait été légitime de faire plus pour le climat dans ces conditions», explique Cédric Philibert, expert de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), auteur d'une étude sur les prix planchers et prix plafonds.

«Il faudrait à la fois des prix planchers car cela donnerait confiance aux investisseurs et des prix plafonds pour qu'on n'hésite pas à choisir des objectifs plus ambitieux», explique-t-il.

Pour les défenseurs du marché carbone dans sa forme actuelle, ce «trou d'air» ne remet pas en cause son fonctionnement. Sur le fond, rappellent-ils, plus les objectifs internationaux de lutte contre le réchauffement climatique seront ambitieux, plus le cours du carbone montera.

«C'est un marché qui est très jeune (il a été lancé en 2005, NDLR), il y a des péripéties de court terme. Mais, à long terme, le consensus des experts est que les prix seront plus élevés», souligne David Rapin.

Le devenir de ce marché européen est observé avec d'autant plus d'attention qu'il pourrait servir de modèle dans d'autres parties du monde.