La montée des océans n'engloutira pas que des îles exotiques du Pacifique. L'Île-du-Prince-Édouard devra dire adieu à 17 phares, à plus de 1000 maisons, à 126 ponts et à 20 km de routes pendant ce siècle. Et les dommages seront sans doute plus importants, parce que ces prédictions sont basées sur le taux d'érosion actuel, qui risque fort de s'accélérer. La Presse s'est entretenue avec le climatologue Adam Fenech, le chercheur derrière ces conclusions qui font bien des vagues dans la plus petite province canadienne.

Comment vous est venue l'idée de cette recherche?

Je suis arrivé à l'Île-du-Prince-Édouard il y a deux ans pour enseigner à l'université. Et tout le monde parlait de l'érosion côtière: les fermiers, les pêcheurs, les résidants.

Où étiez-vous avant?

Pendant plus de 20 ans, j'ai été chercheur à Environnement Canada. Mais le groupe de recherche dont je faisais partie a été démantelé. Il s'intéressait aux impacts des changements climatiques et à l'adaptation qu'ils nécessitent.

Pourquoi y a-t-il de l'érosion côtière à l'Île-du-Prince-Édouard?

Premièrement, toute l'île est faite de grès, qui est très friable. Et la montée du niveau de la mer est importante ici. En plus de l'effet des changements climatiques, le sol s'affaisse d'environ 10 à 20 cm par siècle. Alors on observe une montée de 36 cm au XXe siècle, selon les mesures à Charlottetown. On s'attend à une montée supplémentaire de 1 mètre d'ici 2100. En plus, il y a de moins en moins de glace de mer pour protéger nos côtes. Et enfin, les tempêtes sont de plus en plus fortes. Selon Environnement Canada, on observe une augmentation de 10 à 20% depuis 100 ans dans la durée, la fréquence et la gravité des tempêtes. Et la tendance devrait se poursuivre.

Comment avez-vous abordé votre projet?

En 2012, une recherche venant de paraître montrait comment le littoral avait changé entre 1968 et 2012. Et l'île s'érode en moyenne de 28 cm par année. Il fallait alors se poser la question: où sont les vulnérabilités? Quelles sont les infrastructures qui sont menacées? Au même moment, un étudiant m'a dit qu'il serait capable de faire un «jeu vidéo» qui combinerait les données du LIDAR (un radar topographique ultraprécis) et les données GIS (un répertoire de données géologiques et géographiques) pour simuler l'effet de la montée des océans sur 12 000 km de côtes. Cela nous a donné la possibilité de nous projeter sur 30, 60 et 90 ans en tenant compte à la fois de la montée des océans et de l'érosion prévue.

Qu'avez-vous constaté?

Plusieurs infrastructures sont menacées de disparition. Il y a plus de mille résidences, dix-sept phares, une éolienne, cinq bassins municipaux de traitement des eaux usées, un poste de pompiers, deux musées... Tout cela a un coût. Si on prend simplement la valeur moyenne des maisons dans l'île, on en a pour 160 millions. Pour 20 km de routes, c'est 20 millions de plus. On a beaucoup construit sur le littoral. On ne craint pas de voir l'Île-du-Prince-Édouard disparaître, mais le territoire menacé est aussi celui qui a le plus de valeur, selon nos critères actuels.

Comment a-t-on réagi à votre recherche?

La réaction a été énorme. Nous avons eu notre première présentation publique le 11 février. Depuis ce temps, nous avons rencontré une foule de groupes: l'institut des urbanistes, l'association des agents immobiliers, l'association des courtiers d'assurances. Le cabinet du gouvernement provincial s'est même déplacé dans notre laboratoire pour en savoir plus. Beaucoup de propriétaires de maisons ou d'acheteurs potentiels nous contactent pour savoir ce qui va arriver à une maison. Et l'été prochain, le gouvernement nous a demandé d'animer des forums publics sur la question dans quelques villes.

Pourquoi a-t-on réagi aussi fortement?

Parce que l'érosion est une réalité que tout le monde peut constater. Et nous avons été très prudents dans nos prévisions. Nous avons présumé que la montée du niveau de la mer ne s'accélérerait pas et le rythme d'érosion non plus. Mais nous sommes plusieurs experts à croire que cela va s'accélérer.

Qu'est-ce qu'il faudrait changer, selon vous?

Il faut cesser de construire si près du littoral et il faut décider ce qu'on fera pour les infrastructures qui sont déjà là. On peut ne rien faire, ou encore battre en retraite.