Les enfants dont la mère a été exposée à des pesticides sont moins performants au test de quotient intellectuel, selon une nouvelle recherche, réalisée entre autres par Maryse Bouchard, chercheuse adjointe au CHU Sainte-Justine.

La recherche publiée la semaine dernière, simultanément avec deux autres sur le même sujet, a provoqué un appel au bannissement du chlorpyrifos, pesticide de la classe des organophosphorés.

La recherche de Mme Bouchard fait partie d'une vaste enquête démarrée en 1999 en Californie. Les chercheurs ont recruté des centaines de femmes enceintes dans une région agricole au sud-est de San Francisco. Ils ont ciblé les pesticides organophosphorés, à cause de leurs effets reconnus sur le cerveau.

L'exposition des femmes aux pesticides a été mesurée par la présence de résidus (métabolites) dans leur urine.

Ensuite, leurs enfants ont aussi été suivis de la même façon, puis ils ont subi des tests psychométriques aux âges appropriés. C'est seulement à partir de l'âge de 7 ans qu'on peut leur faire passer le test de quotient intellectuel (QI).

Résultat: on observe un écart de sept points de QI entre le groupe d'enfants dont la mère avait le plus de résidus et ceux dont la mère en avait le moins.

«Les écarts de QI observés sont importants, dit Mme Bouchard. Par exemple, il faudrait une exposition au plomb hors normes pour avoir un tel impact sur le QI.»

La différence entre un QI de 120 et un de 113 est réelle, mais n'aura peut-être pas d'impact discernable. Mais, dit Mme Bouchard, «pour un enfant qui a un QI de 80 et qui se retrouve avec 73, il ne sera peut-être pas capable de finir son secondaire».

Un groupe à risque

Globalement, le groupe de femmes étudié dans cette recherche a une exposition plus élevée que la moyenne américaine aux pesticides.

Il s'agit surtout de femmes latino-américaines faisant partie de familles de travailleurs agricoles. Presque la moitié d'entre elles ont affirmé avoir travaillé pendant leur grossesse.

Cependant, le taux de résidus de pesticides trouvé dans leur urine correspond au taux observé pour environ le quart le plus exposé de la population américaine. Et, selon Mme Bouchard, la majorité de leur exposition provient de l'alimentation, tout comme pour la population en général.

En effet, on trouve des traces de pesticides sur plusieurs fruits et légumes frais.

Cela veut dire que l'exposition aux pesticides a peut-être un effet vaste et sous-estimé sur l'intelligence de toute la population. «C'est un effet sournois, dit Mme Bouchard. C'est toute la courbe du quotient intellectuel qui est tassée d'un côté.»

Un message clair

Onil Samuel, de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), a pris connaissance de l'étude de l'équipe de Mme Bouchard, qui a été diffusée avant publication jeudi sur le site de la revue Environmental Health Perspectives.

Selon M. Samuel, cette étude confirme des hypothèses et des informations existantes. Elle montre qu'il est temps de réduire l'usage des pesticides. «En milieu agricole, on en parle beaucoup et les agriculteurs sont très ouverts à cela, mais il faut accentuer les efforts pour trouver des solutions de rechange aux pesticides», dit-il.

Le chlorpyrifos est ce même pesticide qui a été trouvé dans une concentration dépassant 628 fois la dose mortelle pour les poissons dans un ruisseau de la principale zone maraîchère du Québec, au sud de Châteauguay, selon une étude de l'Université Laval et du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) publiée en décembre dernier.

Il faut aussi mieux surveiller les fruits et légumes importés, dit-il. Dans un rapport récent de l'INSPQ, M. Samuel et son équipe recommandaient entre autres de laver les fruits et les légumes avant consommation. «Il y a une inquiétude qui justifie grandement de prendre des mesures pour réduire l'exposition», dit M. Samuel.

Il croit que les résultats de l'étude sont pertinents pour la population dans son ensemble. «C'est un groupe de femmes plus exposées, mais, dans la population en général, on a des femmes qui sont exposées de la même manière, même hors du milieu agricole», dit-il.

Il ajoute qu'une recherche publiée récemment par son équipe sur des enfants de 3 à 7 ans montrait que l'exposition des Québécois était supérieure à celle qu'on observait ailleurs.

Notons toutefois que la recherche de Mme Bouchard n'a pas trouvé de lien entre l'exposition aux pesticides après la naissance et le quotient intellectuel. «Il semble que l'exposition prénatale soit déterminante», dit-elle.

Toutefois, une précédente recherche de Mme Bouchard établissait un lien entre l'exposition des enfants après leur naissance et l'incidence sur l'hyperactivité.

Un système déficient

Mme Bouchard dénonce le système actuel de gestion des risques liés aux pesticides. «Il y a très peu d'études sur les organophosphorés parce qu'on présumait qu'il n'y avait pas de risque, comme ils se dégradent rapidement, dit-elle. Mais 96% des enfants avaient des résidus dans leur urine. Je veux bien que ça se dégrade rapidement, mais si on se contamine à chaque repas, il y a une exposition en continu.»

De plus, les tests avant commercialisation sont faits sur les animaux, dit-elle. «Pour mesurer une atteinte cognitive chez un rat, il faut qu'elle soit très sévère», dit-elle.

Toutefois, rien de tout cela ne doit pousser les gens à manger moins de fruits ou de légumes, selon Mme Bouchard et M. Samuel. «Les avantages à consommer ces aliments sont certainement plus importants que les risques encourus», dit M. Samuel. Il réitère qu'il faut toujours laver les aliments, ce qui extrait «une part significative» des traces de pesticides.

LES PLUS CONTAMINÉS (bien laver ou acheter bio)

1 Céleri

2 Pêches

3 Fraises

4 Pommes

5 Bleuets

6 Nectarines

7 Poivrons

8 Épinards

9 Cerises

10 Kale

 

LES MOINS CONTAMINÉS

1 Oignons

2 Avocats

3 Maïs congelé

4 Ananas

5 Mangues

6 Pois congelés

7 Asperges

8 Kiwis

9 Choux

10 Aubergines