Des kilomètres en autocar, des affiches en plastique, des repas à emporter : la campagne électorale génère une empreinte carbone substantielle, mais quasi-impossible à mesurer et à compenser avec précision, a constaté La Presse.

Les efforts des partis vers la carboneutralité

Que font les partis pour compenser les gaz à effet de serre émis pendant la campagne ? La Presse leur a posé la question.

Coalition avenir Québec (CAQ)

Types d’émissions compensées : déplacements de la caravane de la CAQ, incluant les vols

Fournisseur : Planetair, programme chapeauté par l’organisme à but non lucratif Unisféra

Total des GES compensés : indéterminé

« Nous allons envoyer les scénarios de toutes les journées de campagne à Planetair après l’élection, c’est seulement à ce moment que nous aurons le nombre total de kilomètres parcourus », a indiqué l’attaché de presse Mathieu St-Amand par courriel.

Nature de la compensation : non précisée. Planetair achète des crédits carbone dans divers projets, mais il n’a pas été possible de savoir ceux qu’a choisis la CAQ.

Parti libéral du Québec (PLQ)

Types d’émissions compensées : depuis 2020, le parti compense les GES émis annuellement par les voitures louées pour ses employés et le matériel électronique utilisé par ceux-ci (ordinateurs, cellulaires, imprimantes), ainsi que l’énergie consommée par ses deux locaux de permanence. Les émissions liées aux déplacements (autocar, avion, auto) et aux affiches de la campagne électorale s’ajouteront à la note de 2022.

Fournisseur : Carboneutre Québec

Total des GES compensés : 49,87 tonnes pour 2022, campagne comprise

C’est une estimation préliminaire, les calculs seront refaits après la campagne et à la fin de l’année pour s’assurer de compenser tout ce qui a été utilisé, souligne le parti.

Nature de la compensation : arbres plantés par Carbone boréal, programme de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), la plupart dans le nord du Lac-Saint-Jean (forêt boréale). L’estimation préliminaire de presque 50 tonnes de GES correspond à 357 arbres.

Parti québécois (PQ)

Types d’émissions compensées : déplacements de la caravane du chef (autocar et vols s’il y a lieu)

Fournisseur : Carboneutre Québec

Total des GES compensés : 10,07 tonnes. C’est une estimation préliminaire, correspondant à 12 000 kilomètres en autocar. Si le calcul effectué à la fin de la campagne montre un excédent, il sera compensé, assure le parti.

Nature de la compensation : arbres plantés par Carbone boréal, programme de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), la plupart dans le nord du Lac-Saint-Jean (forêt boréale)

Par ailleurs, le nombre d’affiches électorales pour l’ensemble des candidats a été réduit du quart par rapport aux élections de 2018, et plusieurs candidats se partagent des locaux, deux gestes qui réduisent l’empreinte carbone, indique l’attachée de presse Laura Chouinard-Thuly. « C’est sûr qu’on est conscients du budget, mais on est aussi conscients de l’environnement. »

Québec solidaire (QS)

Types d’émissions compensées : les déplacements des deux autocars de campagne, des véhicules qui accompagnent la tournée et du véhicule utilisé par la co-porte-parole Manon Massé, ainsi que le vol de Mme Massé aux Îles-de-la-Madeleine.

Fournisseur : Carbone Boréal

Total des GES compensés : 49,76 tonnes

Nature de la compensation : arbres plantés par Carbone boréal, programme de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), la plupart dans le nord du Lac-Saint-Jean (forêt boréale)

Le don fait par QS équivaut à 711 arbres, car le parti a choisi l’option « Préventif pour le climat », soit deux fois plus d’arbres que nécessaire pour compenser les émissions, nous a indiqué Carbone boréal.

QS avait déjà fait des dons à cet organisme pour les campagnes de 2018 (18,58 tonnes de carbone correspondant à 265,43 arbres) et de 2014 (17,85 tonnes pour 250 arbres).

Parti conservateur du Québec (PCQ)

Types d’émissions compensées : aucune

« Nous n’avons pas de projet en ce sens », a répondu le parti par courriel.

Parti vert du Québec (PVQ)

Types d’émissions compensées : aucune

« On compense nos GES par notre contribution au débat politique au Québec, qui vise à amener tous les partis à en faire plus pour l’environnement », a fait valoir le chef, Alex Tyrrell, qui affirme avoir « le programme le plus ambitieux en termes d’environnement ». Le PVQ réclame notamment l’adoption immédiate d’une taxe carbone de 200 $ la tonne.

Les candidats se déplacent autant que possible en transports en commun, et M. Tyrrell utilise sa Honda Civic 2002 pour aller dans les régions.

Et dans les évènements du parti, la nourriture est toujours végétalienne, souligne le chef. « On est aussi le seul parti à revendiquer une réduction de notre consommation de produits animaliers de 50 % sur un horizon de 10 ans. »

Carboneutralité : « ça va beaucoup plus loin qu’on le pense »

La candidate libérale Virginie Dufour veut compenser tous les gaz à effet de serre (GES) émis par sa campagne dans la circonscription lavalloise de Mille-Îles. Ses calculs lui ont réservé des surprises.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Virginie Dufour, candidate libérale dans Mille-Îles, à Laval

« Il fallait que ma campagne soit carboneutre, c’était une condition sine qua non », dit celle qui était, jusqu’en novembre dernier, conseillère municipale et présidente du comité consultatif en environnement à la Ville de Laval.

Ne trouvant pas de calculateur couvrant toutes ses activités, elle a combiné sept sources.

« La nourriture, c’est très rare que c’est calculé. Ce n’est pas facile. »

Comment mesurer ce qu’elle et ses bénévoles mangeront durant toute la campagne ?

« Je suis allée au plus simple : l’option “plat congelé” ».

Pour 410 repas, cela représente 1,5 tonne de GES, soit le quart des émissions générées par les déplacements (5,99 t).

L’utilisation des réseaux sociaux en produira près de 2,9 t, soit davantage que les affiches électorales, les cartons donnés aux électeurs et l’utilisation des ordinateurs et cellulaires combinés (0,58 t)

Les pancartes, je m’attendais à ce que ça en génère plus. Les appareils électroniques aussi !

Virginie Dufour, candidate libérale

Mme Dufour s’engage à compenser 12 tonnes de CO2, soit une de plus que le total issu de ses calculs. Restait à trouver comment.

« Ma première étape a été de contacter des organismes de certification en carboneutralité, mais aucun ne pouvait m’assurer que la compensation aurait un impact à Laval. »

Elle contribuera donc plutôt à un projet de reboisement de l’organisme lavallois Canopée. À 32,73 $ la tonne, ou 20 $ par arbre, son don financera l’équivalent d’une vingtaine d’arbres. Facture totale : 392,73 $, soit un peu plus de 1 % de son budget de campagne.

« Je ne générerai pas tout ça, c’est l’estimation du pire des scénarios », souligne Mme Dufour.

Ses calculs effectués avant le déclenchement des élections prévoyaient une campagne plus longue (41 jours). Les déplacements incluent 15 bénévoles parcourant 40 kilomètres par jour, alors qu’elle n’a pas toujours autant de gens sur le terrain (elle-même se déplace en voiture électrique). Et l’empreinte carbone de ses propres repas est probablement surestimée, puisqu’elle est végétarienne.

« Le but de ma démarche est aussi de faire réaliser que ça va beaucoup plus loin qu’on le pense. Il faut qu’on prenne conscience, collectivement, que tous nos actes et tous nos gestes finissent par générer des GES, et qu’il y a des choix qu’on peut faire. »

0,36 tonne de GES

Émissions générées par la fabricationet la pose des 220 pancartes électorales de Virginie Dufour dans la circonscription de Mille-Îles, selon les calculs de la candidate libérale

Bilan carbone : des calculs approximatifs

Des outils en ligne permettent de voir la quantité de gaz à effet de serre (GES) émise par une activité ou un achat, mais l’empreinte carbone qui en résulte est toujours un peu floue.

Virginie Dufour, candidate libérale dans la circonscription lavalloise de Mille-Îles, a beau avoir pesé ses cartons de visite (8,6 g chacun), le calcul des émissions qu’ils génèrent demeure approximatif.

« La source que j’ai utilisée, c’est pour du papier standard en Amérique du Nord, pas nécessairement au Québec. Quand je fais affaire avec un imprimeur, je ne peux pas savoir d’où vient son carton », illustre-t-elle.

Le Parti libéral, lui, ne tient pas compte des repas pris dans le calcul des émissions du parti, car cette rubrique ne figure pas dans le formulaire de son certificateur, Carboneutre Québec.

« On a déjà été un peu plus loin, on avait inclus les prospectus, les envois postaux, mais quand ça devient trop complexe, les gens décrochent, donc on essaie de trouver un juste milieu », explique le président de l’entreprise, Mathieu Comtois.

La firme, qui a aussi mesuré l’empreinte d’entreprises, d’évènements, de candidats fédéraux et de citoyens, l’a constaté avec son formulaire aux particuliers. La mention « portion de fromage de 150 grammes » suscitait tant de questions qu’elle a été remplacée par une question ouverte sur la consommation de fromage.

PHOTO FOURNIE PAR MATHIEU COMTOIS

Mathieu Comtois, président de Carboneutre Québec

On s’est rendu compte que plus c’est précis, moins les gens embarquent. L’important pour nous, c’est que les gens agissent, et non d’être le plus précis possible sur le nombre de grammes de fromage.

Mathieu Comtois, président de Carboneutre Québec

Carboneutre Québec utilise les bases de données de son partenaire, Carbone boréal, un programme de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Et quand Carbone boréal n’a pas de données sur une activité, « on va chercher des études, idéalement québécoises, sinon canadiennes, nord-américaines ou occidentales ».

Pour les affiches électorales en polypropylène, par exemple, M. Comtois utilise les données de la firme française BL évolution, qui avait évalué le bilan carbone des campagnes présidentielles de 2012. L’empreinte d’une affiche est estimée à près de 1 kg de CO2 (987 g).

Au Québec, le transport représente « probablement autour de 80 % » de l’empreinte d’un candidat en campagne, « mais ça dépend énormément de la circonscription », estime M. Comtois. Et pour les chefs, « on va être plus autour de 90 % : le chef est en autocar et fait énormément de déplacements ».

L’empreinte carbone d’un évènement vient souvent en grande partie du transport de ses participants, et c’est ce que la plupart des calculateurs offrent de compenser, notait d’ailleurs le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG) dans un billet de blogue sur les campagnes électorales l’an dernier. Mais cette empreinte « reste un mystère, car il existe peu d’études sur le sujet », admettait le CIRAIG.

Effet « pervers »

« Il ne faut pas blâmer les gens qui achètent des crédits compensatoires pour planter des arbres, ça ne nuira pas », convient le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal. Mais « ça ne veut pas forcément dire que ces partis ont un bon programme, qui envoie les bons messages pour réduire les émissions de GES de façon structurelle ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal

« Ce qui est pervers, c’est que ça peut laisser croire aux gens qu’on peut compenser nos émissions à grande échelle. Or, on ne peut pas. Il faut absolument réduire », poursuit M. Pineau.

Il trouve d’ailleurs « un peu étrange » que des candidats achètent des crédits carbone pour leurs déplacements, puisque dans le cadre du marché du carbone, les Québécois paient déjà des droits sur le carbone à l’achat de carburant.

« Si on a confiance dans le plan du gouvernement, on devrait se dire qu’on n’a pas besoin de compenser en plus », dit-il.

Si la CAQ achète elle-même des crédits compensatoires, je trouve ça un peu étrange, parce que c’est presque un aveu : soit qu’ils ne comprennent pas, soit qu’ils n’ont pas confiance eux-mêmes dans leur système, parce que c’est comme payer deux fois pour la même chose.

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal

Le transport aérien et la production agricole n’étant toutefois pas inclus dans le système, « ça a un sens d’acheter un crédit compensatoire » pour les vols et les repas, précise M. Pineau.

Cela dit, « le plan québécois, jusqu’à maintenant, échoue à atteindre les cibles, même jusqu’en 2030 ».

Le Québec vise à réduire, d’ici 2030, ses émissions de 37,5 % par rapport au niveau de 1990, mais « le marché du carbone ne remplit pas son objectif ».

Les droits d’émission ont été alloués en si grand nombre « que d’ici 2030, il n’y aura aucune contrainte imposée par le marché », prévoit le chercheur.

« On va se retrouver en 2030 avec un marché du carbone qui va être respecté, et une cible qui ne le sera pas. »