Dans les années 1990, il y a eu Nevermind, de Nirvana. Dans les années 1980, il y a eu Thriller. Mais quel a été l'album des années 2000? Plusieurs musiciens et critiques croient que la première décennie du XXIe siècle s'apprête à se terminer sans avoir proposé d'album la définissant.

En fait, avec la fragmentation et l'affaiblissement de l'industrie musicale et l'accès à un énorme bassin d'artistes offert par Internet, un seul album pourrait-il encore avoir le poids culturel pour définir une époque tout entière?

«Non, je crois qu'Internet a anéanti cette possibilité, a indiqué Tegan Quin, de Tegan & Sara, à La Presse Canadienne. Il y a trop de groupes aujourd'hui. On dirait que tout le monde a un nouveau groupe favori toutes les cinq minutes.»

Si l'on se fie aux récents bilans critiques des 10 dernières années, on remarque qu'une poignée d'albums sont considérés comme la crème de la dernière décennie, mais qu'aucun disque ne se démarque particulièrement des autres.

Entertainment Weekly a choisi comme album de la décennie The College Dropout, le premier disque de l'artiste hip-hop Kanye West, qui a brisé les frontières entre le hip-hop «underground» et celui du grand public en 2004.

NME a de son côté opté pour Is this it, de The Strokes, un album pop presque parfait qui a toutefois, depuis sa sortie en 2001, davantage influencé le style «hipster» que l'avenir de la musique rock.

The Onion a pour sa part choisi l'album des White Stripes, White Blood Cells, qui s'était vu confier la tâche de sauver le rock n' roll, aux côtés du disque des Strokes, après sa sortie en 2001.

The Guardian a considéré que Original Pirate Material du Britannique Mike Skinner, mieux connu sous le nom The Streets, a été la meilleure oeuvre musicale de la décennie. Le magazine Q a couronné une autre Britannique, Amy Whinehouse, pour Back to Black.

Le magazine Rolling Stone et le magazine web Pitchfork se sont quant à eux entendus : ils ont tous les deux choisi Kid A, de Radiohead, sur lequel les musiciens britanniques ont abandonné le rock à la Pink Floyd de leur passé pour laisser libre cour à leur paranoïa technologique avec de l'électronique minimaliste.

Tous ces albums ont une chose en commun: avant ou après leur sortie, une certaine frénésie critique laissait présager qu'ils allaient transformer le monde de la musique.

Et il est indéniable que ces albums ont eu leur influence. Mais s'ils n'ont pas eu l'impact d'un Thriller ou d'un Nevermind, c'est peut-être en raison du nouveau visage de l'industrie de la musique. Au moment où les mélomanes créent leur propre liste d'écoute, n'étant plus esclaves de ce qui tourne à MTV, MusiquePlus ou la radio, l'industrie ne semble plus en mesure de produire des albums qui font l'unanimité.

«Je crois que nous avons atteint un point où il n'y aura plus d'album de la décennie, parce que tout bouge trop vite, il y a trop d'exemples et trop de groupes», croit le chanteur d'Alexisonfire, Dallas Green.

«Choisir un seul album pour définir les 10 dernières années irait à l'encontre de ce qui s'est passé au cours de la décennie», lance pour sa part le batteur de Passion Pit, Nate Donmoyer, qui a tout de même choisi Hail to the Thief de Radiohead et Yoshimi Battles the Pink Robots des Flaming Lips parmi ses favoris.

«Cette décennie est représentée par le fait de pouvoir avoir ce que vous voulez, du vieux jazz au punk à tout ce qui s'est fait dans l'univers musical, tout à la fois, ajoute-t-il. Pour refléter ce qui se passe en ce moment, il faudrait au moins 20 albums de la décennie.»