La dénonciation qui a donné lieu au lancement des mandats de perquisitions effectuées dans le cadre de l'opération Colisée, le 22 novembre, est maintenant publique. Le document nous entraîne dans les entrailles de la mafia montréalaise.

Pourtant mafieux d'expérience, Nick Rizzuto et ses pontes se sont fait prendre comme des enfants d'école dans leur sacro-saint repaire du Club social Consenza, à Saint-Léonard, où ils se croyaient à l'abri des oreilles indiscrètes, indiquent les documents de la GRC déposés au greffe de la Cour du Québec. En raison de l'incarcération de son fils Vito, récemment extradé aux États-Unis, le vieil homme de 82 ans a dû s'impliquer davantage dans les activités illicites du clan sicilien. C'est ainsi que, pendant près de trois ans, avec ses associés Paolo Renda, Rocco Sollecito et Francesco Arcadi, il s'est retrouvé presque tous les jours au petit café du 4891, rue Jarry Est, son point d'attache depuis au-delà de 30 ans.

Pendant des années, les «habitués» du café Consenza n'avaient jamais été importunés par la police, sinon par des «visites de courtoisie» occasionnelles. Ils ne pouvaient donc s'imaginer que les policiers y avaient caché des micros et des caméras. L'une d'elles épiait ceux qui entraient et sortaient du commerce. Deux autres captaient ce qui se passait dans des petits bureaux accessibles seulement aux dirigeants de l'organisation.

Les policiers ont même pu continuer à filmer et à enregistrer après des rénovations majeures, qui ont amené l'établissement à changer de nom pour «L'Associazone Cattolica Eraclea». Eraclea est le petit village de la Sicile d'où est originaire la famille Rizzuto.

En 2005, les enquêteurs ont aussi truffé de micros et de caméras le Café-Bar Laennec, de Laval, qui servait de quartier général à la nouvelle génération de mafieux dirigée par le «compare» Francesco Arcadi. Dans les documents officiels, un certain Giuseppe Lazzara apparaît comme un des actionnaires des deux cafés.

Des années de surveillance

Jour après jour, les policiers ont pu plonger dans l'univers de la mafia montréalaise et découvrir qui en sont les principaux acteurs, comment elle opère et quels sont ses champs d'activités. L'opération Colisée fait du même coup réaliser l'importance de la richesse de la mafia, ainsi que l'immensité de ses contacts, non seulement dans le monde interlope, mais aussi dans les ports, les aéroports, ainsi que les milieux d'affaires et de la politique à Montréal, Toronto, Vancouver et ailleurs dans le monde. Cette gigantesque enquête, qui a coûté 35 millions de dollars, est évidemment loin d'être terminée.

Durant toutes ces années de surveillance, la police a filmé à plusieurs reprises Nick Rizzuto et ses lieutenants se partageant de façon routinière les recettes de plein de rackets que des hommes de confiance apportaient au Consenza.

«Quand ils font quelque chose... peu importe quand ils le font... ils apportent toujours quelque chose ici afin qu'il soit séparé entre nous cinq», a confié un jour Rocco Sollecito à un certain Beniamino Zappia, l'un des rares «privilégiés» à fréquenter ce point de ralliement mafieux, avec Rizzuto père et fils, le «consigliere» Paolo Renda et le «compare» Francesco Arcadi.

Très souvent, au grand amusement des policiers, Nick Rizzuto cachait les liasses d'argent dans une chaussette ou dans sa poche de veston. Selon le document judiciaire, il arrivait aussi qu'on tienne des «meetings» au Consenza afin de faire le point sur certaines affaires et régler des litiges, internes ou autres. Le vieux mafioso à la tête ronde et chauve est le personnage le plus important et le plus respecté. Il est consulté et écouté. Selon la pure tradition mafieuse, ses seconds, Renda et Sollecito, ont aussi beaucoup d'autorité. Quant à Arcadi, il était le meneur sur le terrain. Son choix pour succéder à Vito ne semble toutefois pas faire l'unanimité au sein de l'organisation, ni dans le milieu criminel. «Pas assez diplomate et trop de squelettes dans son placard», ont déjà dit les policiers lors d'entrevues.

Francesco Arcadi supervisait trois groupes distincts d'importateurs et de distributeurs de drogue, ainsi qu'un réseau international de paris sportifs en ligne gérés par deux durs comme lui, Lorenzo Giordano (toujours recherché) et Francesco Del Balso. En général, c'est au bar Laennec qu'on venait leur porter les profits de cette entreprise illicite. Depuis son ouverture en 1997, les voitures de luxe abondent devant les portes de cet établissement de Laval.

Le sentiment d'impunité et l'indiscipline du clan Arcadi ont permis à la police de marquer des points. Ses erreurs n'aidaient pas Nick Rizzuto et son «comité de transition» à remplacer Vito Rizzuto, qui avait plus de charisme et de leadership. La tension était telle, indique-t-on dans le rapport, que des policiers de Montréal ont cru bon alerter un avocat du gang des risques de dérapages sanglants.

Cette intervention inhabituelle suivait une agression contre un trafiquant d'héroïne iranien, en 2004. L'homme avait été battu et frappé à la tête avec un couteau avant de se faire tirer des balles dans les testicules parce qu'il vendait de la drogue dans des territoires réservés à d'autres.

Une opération policière d'écoute d'aussi longue haleine avait donné lieu, il y a une trentaine d'années, à la fameuse enquête publique sur le crime organisé (CECO). Les révélations qui y avaient été faites ont sonné le glas des activités du chef calabrais Paolo Violi et de ses frères. Cette fois, on ne sait trop encore quel impact l'opération Colisée aura sur le puissant clan Rizzuto et la pègre en général.