À voir les visages stupéfaits et rageurs des motards qui ont défilé tout le week-end devant les ruines du repaire des Hells Angels à Sorel, la police n'est certainement pas seule à vouloir mettre la main sur les auteurs de cet attentat d'une audace peu commune.

La découverte de plusieurs motocyclettes calcinées appartenant à des membres du gang de motards laisse croire que l'incendie allumé avec un camion de mazout n'est pas un règlement de comptes décidé à l'interne. En retirant le camion des décombres hier, les policiers de la Sûreté du Québec ont constaté que la partie supérieure du réservoir du véhicule avait été éventrée avant qu'il soit lancé contre l'immense bunker de la rue du Prince.

Cet indice d'importance renforce la thèse voulant que cette attaque ait été planifiée et exécutée avec minutie. Selon l'agent Ronald McInnis, de la SQ, le camion-citerne a été volé il y a quelques semaines dans un commerce de mazout du parc industriel de Sorel. Sa disparition a été signalée dimanche matin, à la suite d'un «appel à tous» lancé dans les milieux d'affaires par les enquêteurs.

Au moment où ils ont vu les énormes flammes embraser le bunker et faire rage pendant des heures, des témoins ont affirmé avoir aperçu près des lieux une fourgonnette de couleur bleu métallique dans laquelle prenaient place au moins deux personnes.

Mobile

D'après le porte-parole de la SQ, les deux autres incendies survenus à quelques heures d'intervalle, dans un immeuble de la rue Fiset et dans un garage du quartier Saint-Roch, étaient aussi d'origine criminelle. Tout en reconnaissant qu'il s'agit d'une drôle de coïncidence, l'agent McInnis s'est quand même dit d'avis qu'il est encore trop tôt pour établir un lien entre les trois incidents.

Quant au mobile, il reste un mystère. «À ce stade de l'enquête, il est inopportun d'élaborer diverses hypothèses sans éléments de preuve», d'insister l'agent McInnis, en pointant manifestement les journalistes et experts de tout acabit qui parlent de zizanie au sein des Hells Angels ou encore d'une nouvelle guerre des motards. D'autres avancent que ce coup de force pourrait être l'oeuvre d'un gang de rue, voire une histoire de vengeance à l'endroit d'un vétéran des Hells dont le fils joue les matamores depuis longtemps dans la région de Sorel.

En apprenant la nouvelle de l'attentat, plusieurs membres et sympathisants des Hells Angels se sont rendus sur les lieux pour constater les dégâts. À voir sur les photos de presse la mine du président du chapitre de Montréal, Benoît Frenette, et de son homologue de Trois-Rivières, Normand Ouimet, il est clair que le gang est ébranlé. «Comme la police, c'est sûr qu'ils sont en mode recherche», avance un ancien motard qui a frayé durant de longues années dans le milieu interlope montréalais.

Chaos

Le chaos du week-end n'est pas sans rappeler la conflagration majeure du 7 décembre 1982 qui avait endommagé un garage de deux étages ainsi que deux maisons voisines que les Hells Angels occupaient dans le quadrilatère des rues du Prince, Élizabeth, Provost et Limoges, où se trouve l'actuel repaire rasé par les flammes.

Arrivés à cet endroit l'année précédente, les membres du gang de motards occupaient quatre autres immeubles dans le centre-ville de Sorel.

Transformée en véritable forteresse, la maison de la rue du Prince qui leur servait de pied-à-terre avait brûlé sous les yeux des pompiers. Les grillages en acier et les vitres blindées les avaient empêchés de s'attaquer au brasier rapidement.

Le temps qu'ils coupent les tiges de fer à l'aide de torches à acétylène, les flammes s'étaient propagées à une autre bâtisse et, de là, à l'ancien garage leur servant de repaire. À la suite de ces événements, le maire avait promis de les exproprier, mais il n'en a pas été capable.

L'incendie avait éclaté trois jours après une perquisition dirigée par le caporal Guy Ouellette, aujourd'hui député libéral à l'Assemblée nationale. L'ancien policier de la SQ était alors responsable de l'escouade alcool et moralité, à Saint-Hyacinthe.

«L'assaut contre le repaire de Sorel: une victoire psychologique des forces policières contre la bande des Hells Angels», titrait alors La Presse. Les policiers y avaient saisi des armes à feu, des couteaux, un peu de LSD et de haschisch, quelque 20 000$ en espèces et une foule de renseignements sur le fonctionnement de l'organisation.