J’aime notre cinéma. Je le dis sans ironie aucune. Je goûte les films d’ici, car ils sont portés par des comédiens épatants, parce que nos productions sont bourrées de talent, du cinéma d’auteur aux grosses productions. Mais surtout parce que c’est l’une des meilleures manières de se plonger au cœur de l’imaginaire québécois, de saisir LE moment. Ils sont des instantanés de nos états d’âme.

Ces derniers jours, j’ai vu coup sur coup deux films qui ont beaucoup fait parler et se déplacer massivement le public. Testatment, de Denys Arcand, et Le temps d’un été, de Louise Archambault. Deux films à voir pour des raisons complètement différentes. Pour mesurer la charge caustique contre l’époque d’Arcand, et pour le regard tout en finesse sur les marges de la société chez Archambault. Et pour le jeu des comédiens dans les deux cas.

Je ne commettrai pas de critique cinématographique ici. Ce dont je veux faire état, qui m’a sauté au visage, est le fait que ces deux grands succès populaires représentent, à eux deux, deux tendances lourdes et opposées, très présentes dans notre culture, notre société, nos vies. Elles sont peut-être même deux traits marquants de l’identité du Québec actuel : l’ironie et la bienveillance.

On pourrait croire qu’Arcand ou les hipsters, au tournant des années 2000, sont les inventeurs de l’ironie made in Quebec. Il n’en est rien. Les boomers ont ri des jokes des Cyniques, les X de celles de RBO. Cette posture a toujours existé ici. Dans sa stricte définition, l’ironie est synonyme de moquerie. On se moque en disant le contraire de ce qu’on veut exprimer. Quant à la bienveillance, bien que certains croient qu’il s’agit d’un sentiment dégoulinant qui nous a submergés pendant la pandémie, c’est plutôt une disposition favorable à l’égard d’autrui. On ne contestera pas Robert, si Petit fût-il !

PHOTO FOURNIE PAR IMMINA FILMS

Une scène tirée du film Le temps d’un été, de Louise Archambault

La bienveillance se manifeste dans la culture populaire de mille façons, mais évoquons la figure tutélaire de Janette, qui fait tout, depuis toujours, pour nous ouvrir collectivement et individuellement à la réalité des autres, sans jugement, avec bonté et tolérance. Si ce n’est pas une injection massive de bienveillance dans le Québec moderne, ça, c’est quoi ? L’ironie, elle, est pratiquée depuis longtemps. Soulignons les 20 ans de regard décalé du média Urbania, les 24 d’Infoman, et on comprendra que l’ironie florissante d’aujourd’hui ne jaillit pas de nulle part.

Qu’en est-il de la bienveillance en 2023 ? Dans le meilleur des cas, comme dans Le temps d’un été, où des itinérants urbains vont passer une saison dans un manoir idyllique du Bas-Saint-Laurent, c’est un mélange de bons sentiments assumés et de préoccupation sincère pour le bien d’autrui. Chez Archambault, elle est parfaitement dosée, jamais gnangnan ni prêchi-prêcha. Son usage est parfait.

Parce que sinon, on ne compte plus les expressions culturelles débordant de bienveillance autoproclamée. Les émissions tatouées de débordements pseudo-émotifs, de générosité mise en scène, de police de la gratitude qui intervient même dans les téléréalités. On se vautre dans une bienveillance de supermarché. Trop de cette bonté racoleuse conduit inévitablement à la mollesse, aux faux bons sentiments, voire au repli sur soi.

Dans un monde si rude, l’ironie est un paravent élégant, une politesse, peut-on dire. Il s’agit d’affronter le monde, non pas métal sur métal, mais par l’intermédiaire d’un humour décalé. Pensons aux animateurs des deux talk-shows automnaux, Marc Labrèche et Martin Matte : deux maîtres de l’ironie, pour notre bonheur. Mais trop d’ironie peut verser dans le cynisme stérile. Ou bien dans le deuxième degré si systématique qu’il en revient à faire, au fond, l’apologie de ce qu’on devrait chahuter. L’ironie médiatique flatte ainsi souvent le Pouvoir. Faut voir les politiciens tout heureux de se ruer à ces micros ironiques pour mesurer le bien que leur image publique en retire.

Pourquoi ces deux postures en apparence si opposées triomphent-elles simultanément ? Que peut-on déduire de leur coexistence si flamboyante et déroutante ? Nous qui avons chéri l’absurde, nous voici gentils ET ironiques à temps plein.

J’avancerais que notre peur atavique de nous commettre, de nous mouiller, nous fait nous padder de vertu et de bienveillance. En même temps, nous sommes de VRAIS gentils, sensibles, émus par les autres, empathiques face à leurs difficultés. Le regard frontal est trop confrontant pour nous. Nous fuyons hostilité, chicane, débats. C’est pourquoi la parole ironique, deuxième degré, est l’une de ces façons que nous avons, au Québec, pour égratigner l’autorité.

L’époque est anxiogène. À tous les étages, de grands bouleversements sont en cours. La culture les anticipe, les fait ressortir. Elle déploie ses outils. La bienveillance pour ne pas nous faire perdre de vue que le mieux peut toujours advenir, ne serait-ce que dans nos vies personnelles. L’ironie, car les enjeux actuels sont si complexes que ça prend une arme souple pour les envisager.

Ironie et bienveillance. On peut s’en moquer. Mais au fond, ce cocktail bien de chez nous n’est pas si mal pour affronter le réel…

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