Si la pénurie de travailleurs qui frappe le Québec était une panne d’essence, on aurait vu depuis longtemps un voyant lumineux sur le tableau de bord nous indiquant que le niveau de carburant était très bas.

Car contrairement à ce qu’on peut penser, cette pénurie était « facile à prédire ».

C’est ce qu’affirme Éric Desrosiers dans un petit essai instructif, sobrement intitulé La crise de la main-d’œuvre.

Le journaliste cite d’ailleurs un article dans lequel le Conseil du patronat sonnait l’alarme quant à la pénurie à venir et un démographe prédisait que ce serait « très grave ». Ce texte avait été publié en 1993 (ce n’est pas une faute de frappe, c’était bel et bien il y a 30 ans !).

Les signes avant-coureurs étaient donc aussi clairs qu’un ciel sans nuages.

En premier lieu : le choc démographique. La baisse marquée du taux de natalité, qui a chuté à 1,5 enfant par femme au tournant des années 1980, allait avoir un effet dramatique.

Un problème auquel s’ajoute le vieillissement de la population. La diminution du poids relatif des Québécois en âge de travailler « depuis le début des années 2000 » est significative.

La pandémie de COVID-19 n’est donc pas à la source de la pénurie. Mais elle n’a « rien fait pour arranger les choses », car les employés des secteurs les plus touchés, comme la restauration ou le commerce au détail, ont migré vers des emplois mieux rémunérés.

Ajoutons à ces causes le fait que l’économie du Québec est très vigoureuse, mais aussi que nombre d’entreprises ne trouvent tout simplement pas assez de travailleurs ayant les compétences qu’elles recherchent.

Éric Desrosiers, qui couvre l’économie au Devoir depuis plus de 20 ans, nous prend par la main pour nous expliquer tout ça. Si bien que si j’avais été son éditeur, j’aurais titré ce livre : Pénurie 101.

Et je me serais, moi aussi, empressé de le publier.

C’est un sujet crucial. En comprendre les implications est fondamental.

Parce que la pénurie aura des répercussions majeures au Québec au cours des prochaines décennies. Elle freine déjà la croissance économique. Avertissement : si rien n’est fait, les finances publiques de la province vont en pâtir.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Selon le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, « la disponibilité de la main-d’œuvre » pourrait compromettre son ambitieux plan d’action pour décarboner le Québec.

Les impacts se multiplient déjà. Un des plus récents : le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, a dit que « la disponibilité de la main-d’œuvre » pourrait compromettre son ambitieux plan d’action pour décarboner le Québec.

L’heure est grave, donc. Et après avoir énuméré les causes et les conséquences de la pénurie, Éric Desrosiers nous convainc qu’il faut trouver des solutions. Il consacre près des deux tiers de son essai à chercher les bons remèdes.

Il n’y en a pas de simples et rapides. Il égrène plutôt un chapelet de mesures qui relèvent à la fois du gouvernement et des entreprises privées.

Y compris des initiatives pour tenter d’augmenter le nombre de travailleurs disponibles et d’autres pour doper la productivité.

Seul bémol, j’aurais pour ma part souhaité qu’il explore davantage l’impact potentiel des développements de l’intelligence artificielle sur le marché de l’emploi (et donc sur la crise de la main-d’œuvre). Peut-être pourrait-il en faire le sujet de son prochain essai ?

Extrait

« Le parallèle apparaîtra peut-être étrange à certains, mais il me semble qu’il y a dans la façon qu’on a eue, au Québec, de s’intéresser au problème de rareté de main-d’œuvre quelque chose qui n’est pas sans rappeler un autre enjeu, complètement différent : celui du réchauffement climatique. Dans les deux cas, on parle de phénomènes aux conséquences majeures, annoncés depuis des décennies par les experts, et faciles à voir venir pour quiconque daignait y porter attention. Et pourtant, on a commencé à véritablement s’y intéresser qu’à partir du moment où leurs effets ont commencé à se faire plus concrets et mordants. »

Qui est Éric Desrosiers ?

Après des études en science politique au baccalauréat (Université Laval) et à la maîtrise (McGill), Éric Desrosiers a fait un doctorat sur « la démocratie canadienne à l’ère de la mondialisation » à l’Université de Montréal. Il est journaliste au Devoir depuis 1988 et couvre l’économie pour le quotidien montréalais depuis plus de 20 ans. Il a reçu le Prix d’excellence en journalisme économique et financier québécois en 2016.

La crise de la main-d’œuvre – Un Québec en panne de travailleurs

La crise de la main-d’œuvre – Un Québec en panne de travailleurs

Somme toute/Le Devoir

160 pages