Aujourd’hui, notre chroniqueur rencontre le designer Daniel Corbin

Le designer Daniel Corbin a toutes les raisons de sourire.

La série Vendre ou rénover, qu’il coanime à Canal Vie, est un succès. Son entreprise, D-Cor, est florissante. « Dans la dernière année, on a reçu 850 demandes de projets. On a dû en refuser plus de 700. » Ses projets de design sont nommés dans des concours internationaux. En marge de tout ça, il gère des immeubles d’appartements.

« J’ai la carrière dont j’ai toujours rêvé », s’enthousiasme-t-il, avec ce côté givré qui en a fait un des chouchous du grand public. Mais plus notre conversation progresse, autour d’un café noir dans la salle de rédaction de La Presse, plus Daniel Corbin dévoile une facette de lui que nous connaissons moins.

Son côté sérieux.

Les trois dernières années, marquées par la pandémie, l’ont ébranlé. « Quand tout a fermé, j’ai pensé que mes locataires allaient tous perdre leur job. Que plus personne n’allait me payer. » Les clients sont devenus de plus en plus exigeants – et pressés. Puis les prix ont explosé. Pas juste ceux des matériaux. Ceux des maisons, aussi.

Ça m’inquiète. J’ai des filles de 14 et 10 ans. Je regarde le prix des propriétés en ce moment et je me dis que si elles ne deviennent pas toutes les deux médecins spécialistes, ce sera impossible pour elles de s’acheter une maison.

Daniel Corbin

Une inquiétude partagée par plusieurs parents et qui fait écho à sa propre histoire.

Celle d’un homme qui, jeune adulte, ne pensait jamais pouvoir devenir propriétaire.

Daniel Corbin vient d’un milieu qu’il qualifie de « très modeste ». Son frère aîné et lui ont été élevés par leur mère dans le village de Nominingue, entre Mont-Laurier et Mont-Tremblant. Dans sa famille, il n’y avait pas d’artistes, d’ingénieurs ou de designers. À la maison, pas de magazines de décoration ou de livres d’architecture. L’école ? « Ce n’était pas mon fort. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Daniel Corbin

Où se sentait-il bien ?

Dans sa chambre. Il avait 12 ans quand son frère est allé vivre chez ses grands-parents. « J’ai hérité de sa chambre. Je ne l’aimais pas. J’ai tout viré ça de bord. J’ai bougé les meubles. Je suis allé prendre les gallons de peinture qui traînaient sous l’escalier, et j’ai décoré. Je voulais que les gens qui venaient dans ma chambre me disent ayoye, c’est cool ton affaire. Tout est parti de là. Mon inspiration, elle ne venait pas des magazines. Elle venait d’entre mes deux oreilles. »

À la fin de l’adolescence, il se lance dans le sport. Planche à neige, skateboard, surf. « D’une façon assez intense. » Tellement qu’à 18 ans, il fonde avec un ami un magasin de sport, à Mont-Laurier. « On a tout créé nous-mêmes, dit-il fièrement. Après quatre ans, j’ai réalisé que j’adorais le dessin, la construction, le marketing. Mais les opérations ? Zéro pis une barre. Je ne voulais rien savoir de ça. J’ai compris que ce qui m’allumait, c’était la conception. »

Il déménage à Montréal, où un contact chez Mexx lui propose de faire de la mise en marché au magasin de la rue Sainte-Catherine. « Je ne savais pas ce que c’était, de la mise en marché. Ils m’ont dit : “place la guénille sur les racks”. J’ai fait ça pendant un an et demi. Je ne comprenais pas trop pourquoi cette collection-là devait être sur le bord de la porte plutôt que dans le fond. Je me fiais à mon instinct, mais tu sais quoi ? Ça fonctionnait. »

Il est allé offrir ses services à tous les commerces de la rue Saint-Denis, « d’un bord à l’autre ». Neon lui a fait confiance. « Le gérant a capoté. » Les contrats se sont enchaînés, jusqu’au jour où le propriétaire d’un commerce lui a demandé de transformer sa maison. « C’est là que je suis tombé dans le résidentiel. »

Jamais, à ce moment-là, il n’aurait imaginé se retrouver à la tête d’une firme respectée. Ni être propriétaire de logements. Ni même être propriétaire tout court. « Non. C’était impossible. Quand j’étais jeune, les gens autour de moi ne donnaient pas cher de mon avenir. Je me considère comme un [rescapé] de la vie. La seule affaire que je voulais, c’était gagner 40 000 $ par année et vivre de ma job. Encore aujourd’hui, je me pince. Je n’en reviens pas qu’on me paie pour dessiner des plans.

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Daniel Corbin

« Souffres-tu d’un sentiment de l’imposteur ?

– Plus maintenant. Mais je l’ai eu jusqu’à il y a trois, quatre ans. Parce que je n’ai pas été formé à l’école pour ce métier-là. Et puis parce qu’on m’a regardé de haut pendant des années.

— Pourquoi ?

— Parce que je faisais de la télé. Dans le milieu, tu as des gens qui font des trucs puristes, brutalistes, sans déco. Tu as aussi des gens qui font un show de télé, avec des plantes en plastique. Moi, je suis entre les deux. Nos projets chez D-Cor sont très nichés. Mais à la télé, je fais des projets pour le commun des mortels. Et moi, le commun des mortels, je le connais bien. Je l’ai été. Je sais ce que c’est, avoir de l’argent pour acheter juste un gallon de peinture. Mais avec un gallon de peinture, tu peux faire bien des choses. »

Le thème de l’argent revient souvent dans notre conversation. Daniel Corbin confie être « très, très, très conservateur » avec son propre argent. « J’ai même de la difficulté à dépenser. Je ne suis pas gratte-cenne. Quand je sors, je dépense. Je veux que les gens autour de moi soient bien. Mais je suis très conscient d’où je suis parti et où je suis rendu. C’est pour ça que je regarde l’état du marché présentement et que je m’inquiète pour les jeunes comme mes filles. »

Il est conscient d’être aujourd’hui du côté des privilégiés. C’est qu’il a fait de bons investissements dans les 20 dernières années en achetant des immeubles d’appartements en difficulté dans les quartiers les plus défavorisés de Longueuil. Sauf que le marché a changé dernièrement.

Ma façon de faire, c’était d’acheter un duplex et de le transformer en triplex. Ça fonctionnait il y a six ans, mais plus maintenant. Le prix des blocs a explosé. C’est complètement dément.

Daniel Corbin

« Il y a 20 ans, un plex de moins de quatre logements, c’était une valeur refuge pour un propriétaire-occupant. Aujourd’hui, ça ne se fait plus. C’est rendu que les gens se mettent à deux ou trois pour acheter un plex.

— Est-ce que ça t’a enlevé le goût d’en acheter ?

— C’est sûr que ça m’a refroidi. Quand je mets un logement à louer, je me demande toujours si mes enfants pourraient se payer ça un jour. Comprends-moi bien, je ne suis pas là pour faire la charité. Mais quand je vois des deux et demie ou des trois et demie à 1200 $ à Longueuil, je trouve que ça n’a plus de bon sens. Je ne sais pas où ça va s’arrêter. »

La solution, croit-il, passera par le télétravail.

« Je ne pense pas que les jeunes habiteront en ville. Avec notre firme, on fait des projets partout au Québec, et ce que je remarque, c’est que les jeunes commencent déjà à sortir des grands centres. Ils vont au nord de Tremblant, par exemple. Je vois dans quelques villages l’émergence de petits cafés cool. De bureaux de design. D’agences web. Ce n’était pas comme ça, il y a cinq-six ans. Ces jeunes-là, ils ont compris qu’ils devront quitter les grands centres pour se payer quelque chose.

— Penses-tu que c’est une bonne chose ?

— Non. Quand tu vas faire un tour sur Sainte-Catherine et sur Saint-Denis, tu comprends pourquoi. Il y a des secteurs pathétiques. »

L’avenir des villes, selon lui, passe par une densification encore plus grande.

« Au Québec, on bâtit trop gros pour absolument rien. On dédouble tout. On a deux salons. Une salle à manger, une dînette et un îlot sur lequel on peut manger, même si on est juste quatre dans la maison. Des gens me demandent d’agrandir leurs maisons, mais ils ne savent même pas quoi faire avec leur sous-sol. Dans les dernières années, nos habitudes de consommation ont changé. Mais l’habitation ? Pas tant que ça. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : « Une fois, mon père est venu chez nous. Je lui ai demandé s’il prenait son café avec un lait et deux sucres. Sa réponse ? Non, moi, j’aime le café. Depuis ce temps-là, je bois mon café noir. »

La plus belle ville : « C’est kitsch, mais c’est Montréal. Quand j’étais jeune, c’était une des grandes villes dans le monde. On n’a pas perdu de charme. On a fait des trucs de fou. Il y a de beaux quartiers méconnus à Montréal. L’histoire de son architecture est captivante. Mais je te mets au défi de trouver des jeunes en bas de 40 ans qui s’intéressent à ça. »

Le plus beau quartier : « Le Mile End, à Montréal. J’aime aussi le quartier de mon entreprise, à la limite de Griffintown et de Pointe-Saint-Charles. Ce qu’ils ont fait avec la rue Wellington, c’est vraiment intéressant. »

Qui est Daniel Corbin ?

  • Designer né en 1973 à Nominingue
  • Fondateur en 1999 de la firme D-Cor
  • Le grand public l’a découvert à partir de 2009 dans une demi-douzaine d’émissions de télévision, dont le succès Vendre ou rénover, qu’il coanime avec Maïka Desnoyers à Canal Vie. La huitième saison sera diffusée au cours de l’hiver.