Le 15 décembre 1966, Walt Disney mourait d'un cancer du poumon, à 65 ans. Le monde pleurait alors le père de Mickey Mouse et un grand innovateur en matière de cinéma d'animation. Un demi-siècle plus tard, quel est l'héritage de Disney?

Le mardi 21 décembre 1937, l'ambiance est teintée d'excitation et de curiosité au Carthay Circle Theatre du boulevard San Vincente à Hollywood.

Cinéphiles et gens de l'industrie du cinéma s'y pressent pour assister à une première mondiale très spéciale: le long métrage (83 minutes) d'animation Blanche-Neige et les sept nains réalisé par David Hand et produit par les studios Disney.

Fruit de l'imagination bouillonnante de Walt Disney, c'est la toute première fois qu'un dessin animé est porté en long métrage.

Pari gagné!

Le lendemain, le Los Angeles Times parle d'un accomplissement. «Walt Disney nous propose le fruit d'un travail herculéen et l'assistance réunie pour cette première a été enchantée par cette présentation», indique l'article.

Lorsque l'oeuvre fait sa sortie nationale le 4 février 1938, le public répond présent. Le film doté d'un budget de 1,5 million engrange des recettes qui se comptent en dizaines de millions de dollars. À la cérémonie des Academy Awards en 1939, Walt Disney reçoit un Oscar spécial de grandeur standard accompagné de sept mini statuettes. Du jamais-vu!

«Tout ce qu'il faisait à l'époque l'était pour la première fois, dit le producteur Pascal Blais des studios montréalais du même nom et fan assumé de Disney. Par exemple, Blanche-Neige avait été filmé sept ou huit fois en prises de vue réelles. Personne ne se souvient de ces films. Par contre, la version de Disney a eu un impact remarquable. Les gens n'y croyaient pas. Ils disaient que les enfants allaient se brûler la rétine. Disney a tenu bon et a fait des films plaisants autant aux enfants qu'aux parents.»

Un précurseur

Ce coup d'éclat n'est pas le premier dans la carrière du producteur, cinéaste et dessinateur né à Chicago le 5 décembre 1901. En 1928, Disney atteint une première fois la renommée avec la souris Mickey, personnage sorti de son imagination. Au troisième court métrage mettant Mickey en vedette, Steamboat Willie, Disney ajoute du son en synchro. Succès!

«Disney a été le premier à utiliser le son, à ajouter de la couleur, à mettre des mouvements de caméra dans ses dessins, souligne le cinéaste d'animation Luc Chamberland [Le dominion de Seth]. Il innovait constamment et cherchait à aller plus loin dans son art.»

«Il savait s'entourer des meilleurs dessinateurs de son époque et les pousser à faire exploser leurs talents», ajoute le bédéiste Régis Loisel qui vient tout juste de publier une bande dessinée, Café Zombo, avec Mickey et Horace, deux personnages «disneysques» campés durant la Grande Dépression des années 30.

Pionnier certes, dessinateur d'un grand génie aussi, mais travaillant constamment avec retenue, observe Thomas Corriveau, professeur à l'École des arts visuels et médiatiques de l'UQAM et cinéaste d'animation.

«Disney avait une approche de l'animation très liée à une production culturelle quasi industrielle, dit-il. Il laisse en héritage une façon de considérer l'animation qui ne laisse pas beaucoup de place à un rapport très organique ou expérimental à l'image.»

Autrement dit, avec lui, on vise le grand public sans le bousculer.

«C'est un art truffé de compromis, poursuit M. Corriveau. Disney va dans le sens du poil du spectateur sans essayer de le remettre en question. Par exemple, il a emprunté des histoires aux frères Grimm, mais en a fait des oeuvres où toute la violence est évacuée. Il les a édulcorées pour conserver la puissance du récit narratif.»

«Oui, il a exploité le côté séduisant des choses pour son public, indique Régis Loisel, mais des côtés sombres ont aussi été conservés, sur le plan des sentiments, comme dans Dumbo et Bambi. Ailleurs, dans Peter Pan, on a avec le Capitaine Crochet un méchant parfaitement réussi, mais avec un côté ridicule très bien exploité.»

Photo Matt Stroshane, archives Bloomberg

La statue Partners, de Blaine Gibson, montre un moment de complicité entre Walt Disney et Mickey Mouse à l'entrée du parc thématique Magic Kingdom, en Floride.

Homme affable

Aux premiers longs métrages d'animation de Disney s'ajouteront bientôt des oeuvres en prises de vues réelles, des films hybrides, des aventures, des documentaires...

Ainsi, en 1962, les studios Disney sortent Big Red, histoire d'amitié entre un gamin de 10 ans et un chien setter irlandais dans le Québec rural. Le film met entre autres en vedette les Québécois Gilles Payant, Émile Genest et Janette Bertrand.

«Je suis allée tourner un mois en Californie, se rappelle Mme Bertrand. Un jour, durant une pause, Walt Disney est venu nous rencontrer sur le plateau. Il se disait un artiste. C'était un homme très doux, très chaleureux. Et surtout, un homme de grand talent. Il dessinait des personnages qu'on n'oublie pas.»

Que nous laisse-t-il dans son sillage? Pascal Blais évoque ce besoin d'aller toujours plus loin. «Il voulait toujours faire de l'expérimentation, inventer de nouvelles choses.»

Ce besoin d'innovation existe encore aujourd'hui aux studios Disney, notamment dans le cinéma 3D, indique Régis Loisel.

Parlant de 3D, Luc Chamberland donne l'exemple d'Avatar de James Cameron. «Avatar est à 90 % un film d'animation, soutient-il. C'est un autre monde créé de toutes pièces avec quelques acteurs dedans. Tout cela découle des productions originales de Disney.»

«Il a compris plus que n'importe qui d'autre que l'animation était une entreprise risquée dans laquelle il fallait non seulement investir du temps et de l'argent, plaire à un public universel, mais aussi et surtout constamment offrir de la nouveauté autant sur le plan narratif que sur le plan technique au risque de perdre l'intérêt du public, dit de son côté Dominique Noujeim qui, en 2013, a soutenu un mémoire de maîtrise sur la naissance du cinéma d'animation. En cela, Disney a été un précurseur et a posé les balises de l'industrie du cinéma d'animation telle que nous la connaissons aujourd'hui.»

Un jour, dans un entretien, le grand réalisateur et producteur Cecil B. DeMille a demandé à Disney quelles étaient les règles d'or de son succès. «Seulement une, a répondu celui qu'on surnommait affectueusement oncle Walt. Ne fais jamais ce que quelqu'un d'autre peut faire mieux que toi.»

Image tirée des archives de La Presse

Aperçu de la une de La Presse le 16 décembre 1966, jour de la mort de Walt Disney