Même si Netflix était prêt à payer le double pour acquérir les droits d'exploitation du film The Bleeder aux États-Unis et ailleurs dans le monde, Philippe Falardeau et ses producteurs ont préféré aller voir ailleurs. Et s'assurer d'une sortie sur grand écran.

Devant Netflix, les créateurs font face à un vrai dilemme. D'une part, il peut être très alléchant de céder une oeuvre à un service de visionnement en flux continu auquel des millions de personnes sont abonnées. Mais est-on prêt à sacrifier en retour une sortie en salle en bonne et due forme? Et le prestige qui s'y rattache?

Le cinéaste québécois Philippe Falardeau, dont le plus récent film américain, The Bleeder, a été lancé à la Mostra de Venise et au Festival international du film de Toronto (TIFF), n'est pas prêt à faire ce sacrifice.

«Quand nous sommes arrivés au festival de Toronto, quatre distributeurs américains étaient intéressés à acquérir les droits du film, dont Netflix, a expliqué le cinéaste au cours d'un entretien accordé à La Presse. C'est d'ailleurs celui-là qui, de loin, offrait le plus gros montant, soit plus de 4 millions de dollars américains. Cette somme nous aurait pratiquement assuré la rentabilité puisque le budget de The Bleeder s'élevait à 5 millions de dollars. En plus, d'autres préventes avaient déjà été faites pour d'autres territoires.

«Notre film n'étant pas une production maison de Netflix, je craignais toutefois qu'il soit jugé différemment. C'est-à-dire que quand tu conçois un long métrage pour le grand écran et qu'il ne s'y rend pas, il peut dès lors être perçu comme un demi-échec. Pas auprès des intervenants à Hollywood, mais assurément auprès de la presse et du public.»

Philippe Falardeau reconnaît que même si son avis a été sollicité, le poids du réalisateur ne pèse guère lourd dans la balance s'il n'est pas lui-même aussi impliqué dans la production. Toutefois, Liev Schreiber, tête d'affiche du film et aussi producteur, partageait son avis.

«Nous avons finalement accepté l'offre d'IFC Films pour environ deux fois moins d'argent, confie-t-il. Mais ce distributeur nous garantissait une sortie en salle bien soignée. Je trouve que l'équipe de production a fait preuve de courage dans ce cas-ci, mais sommes-nous rendus à la fin de ce modèle?»

Un ajustement inévitable?

Le cinéaste estime que dans l'essence même de son travail, un problème se posera inévitablement, tôt ou tard. Il faudra s'ajuster, penser son film autrement que pour le cadre du grand écran.

«Il est clair que le cinéma en salle est menacé.»

«Je connais d'ardents cinéphiles qui préfèrent attendre qu'Arrival - pas un petit film d'auteur - soit disponible sur d'autres plateformes avant de le voir parce qu'ils sont très bien équipés en cinéma maison. On en est là. Alors, on tournera des films pour quel support? Dans quel cadre? Même si les écrans maison ont 50 ou 60 pouces, l'expérience n'est quand même pas la même que celle du grand écran, car le spectateur n'est alors plus captif du film qu'il regarde. Cela dit, cet argument ne convainc plus grand monde. J'ai aussi l'impression que l'intérêt des gens se porte davantage sur les histoires qu'on leur raconte que sur l'expérience artistique qu'ils en retirent.»

Au Québec, The Bleeder sera distribué par Entract Films. La sortie en salle est prévue le printemps prochain.

Photo Sarah Shatz, fournie par la production

Liev Schreiber dans The Bleeder de Philippe Falardeau.