«30 ans? Yes, sir Madame!» Difficile de trouver meilleure accroche pour l'anniversaire de la Coop vidéo de Montréal que celle qu'elle s'est trouvée.

Née en 1977 des bonnes oeuvres de Robert Morin, Marcel Chouinard, Lorraine Dufour, Bernard Émond, Jean-Pierre Saint-Louis, Yves Chaput et Gilbert Lachapelle, la Coop a vu grandir en son sein plusieurs générations d'artistes et de cinéastes, représentants doués de la profession. Robert Morin (Le Neg'), Louis Bélanger (Gaz Bar Blues et, bientôt sur nos écrans, The Timekeeper), Denis Chouinard (Délivrez-moi) et André-Line Beauparlant (Panache) se prêtent à un jeu de souvenirs, bons bien plus que mauvais.

La Coop, c'est...

«C'est un lieu de liberté pour la création. L'acte de création peut être bien platte si t'es seul. La Coop est un lieu d'émulation et de compétitivité, dans le bon sens du terme, où tu peux pitcher tes idées, répond Louis Bélanger. La Coop, c'est un lieu de travail, mais la base du membership, c'est l'amitié. La Coop, c'est une famille.»

Ne devient pas membre de la Coop qui veut: la Coop, c'est aussi une façon de voir le cinéma. «Ce n'est pas un lieu typique de l'individualisme. On ne se jauge pas à coup de box-office. Il y a un côté bum à la Coop», complète Denis Chouinard. «Je ne connais pas beaucoup d'organismes qui me laisseraient faire mes folies. Il y a une partie expérimentale de ma cinématographie que je me vois mal faire ailleurs», poursuit Robert Morin.

Comme dans toute famille qui se respecte, il y a des engueulade ou des prises de bec, mais aussi beaucoup de respect. «On est tous très différents, on n'est pas toujours d'accord, mais il reste une base commune. Quand je suis arrivée ici, j'ai d'abord rencontré Robert, j'ai aussi rencontré des gens qui me correspondent», explique André-Line Beauparlant, directrice artistique et réalisatrice.

Dans la Coop, on peut...

«Tu fais ce que tu veux, tu n'as pas de commentaires sur la rentabilité», dit Louis Bélanger. La Coop reste un lieu d'échange, où les réalisateurs discutent de leurs scénarios sans avoir des contraintes commerciales sur les épaules. Loin d'eux l'idée de plaire à tout le monde: «Ce que l'on vise, ce n'est pas la réussite commerciale, dit Robert Morin. L'autre affaire, c'est qu'on est copropriétaires de notre business. On est propriétaires de tous les films faits ici.»

Pour André-Line Beauparlant, la Coop permet de réaliser les documentaires que l'on veut, sans se soucier des exigences d'un diffuseur télé. «Il y a beaucoup d'énergie ici. Quand je travaille, on croit beaucoup au film. Ici, je n'ai jamais fait de télévision. C'est exceptionnel: je fais le nombre de minutes que je veux, tout ça, c'est possible ici.»

Le documentaire made-in-Coop se situe plus près du cinéma que du reportage ou de l'enquête tape-à-l'oeil. «Le documentaire flirte beaucoup avec la télévision, et il y a une tendance au sensationnalisme», déplore Robert Morin. André-Line Beauparlant a déjà été approchée par d'autres maisons de production. Elle a toujours refusé: «Je ne vois aucun intérêt à aller travailler ailleurs», dit-elle.

Ce qui a changé depuis 30 ans

«Ce qui a changé beaucoup, c'est le rapport au travail», dit Robert Morin. En 1977, les fondateurs de la Coop essayaient de faire vivre leur coopérative vidéo avec les moyens du bord: en louant leur matériel ou leurs services pour des films corporatifs. La vie de la Coop était parfois remise en question, mais sa fermeture fut toujours remise à plus tard. En 1986, la production du premier long métrage de la Coop, Tristesse modèle réduit, de Robert Morin, change la donne. «On a commencé à gagner notre vie, à faire les films qu'on a eu envie de faire», se souvient Robert Morin. La question de la survie de la Coop ne s'est plus posée depuis. Aujourd'hui, l'industrie du cinéma québécois s'est structurée, et pas forcément pour le meilleur. Le cinéma québécois vit, selon Robert Morin, «un moment dramatique de son histoire», évoquant un «monolithisme» parmi les films produits. «Présentement, les films d'auteur se retrouvent en compétition avec des comédies. Et ça, à moyen terme, notre cinéma va en souffrir.»

Le meilleur souvenir de la Coop, c'est...

Denis Chouinard, traque «le» bon souvenir dans sa mémoire, puis raconte une soirée de tournage de Yes Sir! Madame, où s'étaient retrouvés tous les membres de la Coop pour un raout aussi réussi qu'improvisé. «On était tous déguisés, il y avait pas mal d'alcool. Il y avait encore un chambreur dans l'immeuble, il n'a pas ouvert sa porte de la nuit», se souvient Robert Morin. Louis Bélanger pense à l'élaboration du scénario de Requiem pour un beau sans coeur, de Robert Morin (1992): un moment libérateur. «Je me rendais compte que c'était facile, c'était comme jouer au cowboy, c'était démystifier le long métrage. Après ça, je ne me sentais pas gêné, je me suis dit: "je veux en écrire un". La journée où tu finis ton premier film, tu te dis: "c'est fait, on ne peut pas me l'enlever". C'est un tournant», explique Louis Bélanger.