Outremont, Verdi, Parc ont en commun le cinéma, bien sûr, mais aussi Roland Smith. L'homme des salles obscures de Montréal a redonné vie au défunt Cinéma du Parc, il y a bientôt deux ans. On le rencontre au cinéma, bien entendu, quelques jours avant son départ pour Cannes.

Cinéphile, Roland Smith l'est. Au cours de la conversation, sa passion pour le septième art se découvre aussi bien dans des assertions surprenantes -»Je ne peux pas comprendre qu'on travaille dans le cinéma et qu'on n'aille pas à Cannes» - que dans la voracité réjouissante avec laquelle il évoque sa vie de festivalier sur la Croisette, où «il faut voir quatre films par jour».

Cannes est dans l'air donc et Roland Smith évoque son ami, partenaire d'un temps en distribution, le regretté critique de La Presse, Luc Perreault. «Un grand cinéphile. Il a fait beaucoup pour le cinéma québécois», croit-il. À côté de la porte de la salle 1, Roland Smith a fait encadrer les remerciements des enfants de Luc parus dans le journal au lendemain de l'hommage rendu dans la même salle.

Dans sa vie, Roland Smith a usé (beaucoup) le velours des fauteuils des salles de cinéma de Montréal. Il évoque un temps déjà lointain où la rue Sainte-Catherine comptait à elle seule «une vingtaine de salles», se souvient du York, «où Woodstock a joué, où Bonnie and Clyde a joué».

Il débute dans l'une des salles du centre-ville. «J'étais un cinéphile frustré qui a voulu changer les choses. J'ai mis mes connaissances en arts graphiques, en frappant chez le propriétaire d'une salle, rue Ogilvy. J'ai appris le métier sur le tas, en travaillant pour presque rien, en devenant irremplaçable», se souvient-il.

La méthode se révèle payante puisqu'en 1966, Roland Smith prend le cinéma Verdi en main. «J'ai brisé la façon de distribuer les films. Avant, les distributeurs de films devaient acheter la programmation d'une compagnie. Moi, je suis arrivé et j'ai fait du "pick and choose". Ce qu'on appelle le cinéma de répertoire, c'est un peu moi qui l'ai inventé, en programmant que les films que je voulais», dit-il.

Le centre-ville de Montréal s'est beaucoup vidé de ses salles. Mais le Cinéma du Parc renaît de ses cendres, sous l'impulsion de Roland Smith. Sa programmation, qui allie primeurs et reprises, (en témoigne l'actuel programme consacré aux Palmes d'or du Festival de Cannes). Il mène aussi une autre révolution, faire du Parc une salle de cinéma accessible aux francophones.

«Notre clientèle est à 55% française, 45% anglaise. C'est impressionnant de voir comme on est multilingue, dit-il. La salle est maintenant comme une Cinémathèque populaire. Ici, monsieur Tout-le-Monde se mêle aux cinéphiles. La programmation est très diversifiée, c'est éclectique et volontaire. C'est ça, le grand changement du Parc.»

On peut donc aujourd'hui regarder au Parc Pierrot le fou, en version sous-titrée anglaise, et croiser des spectateurs anglophones et francophones, ou encore voir Un baiser s'il vous plaît sans sous-titrage. «C'est pas pour déplaire aux anglophones, assure-t-il. Mais moi, je suis né au cinéma des années 60, et tous les Godard et Truffaut venaient de Toronto ou de New York. On s'en est farci, des sous-titres en anglais, pendant des années.»

Le Parc souhaite poursuive son entreprise de séduction vers un public plus large que les anglophones du ghetto McGill, tout en s'opposant à la politique de programmation restreinte des grandes salles de cinéma. «Je suis un homme d'affaires, mais aussi un homme de cinéma. J'ai aussi des goûts, et j'essaie de remplir les besoins des cinéphiles. Le public ne veut pas qu'on le prenne pour un imbécile», dit-il.