Pour chaque film porté au grand écran, quantité d'autres ne verront jamais le jour faute de moyens et de soutien. Laisse-t-on mourir de potentiels chefs-d'oeuvre? En prévision de la cérémonie des Jutra, dimanche, La Presse a posé la question aux gens de l'industrie, qui ne se sont pas gênés pour critiquer le système.

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La directrice générale du cinéma et de la télévision de la SODEC, Ann Champoux, voit défiler, deux fois par an, 30 projets de films. Environ six seront choisis. «Cela crève le coeur de dire non, explique-t-elle. On voit mourir certains projets et on trouve toujours ça dommage et difficile.»

Du côté de Téléfilm Canada, c'est la même histoire. Car rares sont les films québécois qui peuvent voir le jour sans l'aide des deux ordres de gouvernement.

Comment sont perçus les jurys de ces deux institutions? «Nous avons le moins mauvais des pires systèmes», lance sans détour Roger Frappier, qui a notamment produit Dédé à travers les brumes et Borderline.

D'autres producteurs comme Nicole Robert (Les sept jours du talion) ou Pierre Even (C.R.A.Z.Y.) ne se gênent pas davantage pour dire qu'il faut revoir certains aspects du processus.

Un irritant: la composition des groupes de spécialistes chargés de rendre un verdict sur chaque projet. Certains, comme Pierre Even, déplorent le fait que les équipes de la SODEC et de Téléfilm soient toujours composées des mêmes personnes.

«Au fil des ans, il y a des directions qui se prennent, mentionne celui qui a déjà été directeur de l'unité longs métrages du bureau du Québec de Téléfilm Canada. À un moment donné, c'est bon d'avoir du sang neuf. On a déjà suggéré qu'il y ait une rotation, que les gens aient des contrats de cinq ans, par exemple.»

Quant aux analystes externes, auxquels font aussi appel les institutions, ils n'ont pas toujours les compétences nécessaires pour juger les scénarios, estime Pierre Even. «La qualité des analystes n'est pas toujours là, surtout à Téléfilm», renchérit Nicole Robert.

Qui sont ces analystes? Téléfilm et la SODEC tiennent à garder leur anonymat, pour éviter qu'ils subissent des pressions. «Ce sont des gens qui ont démontré de bonnes compétences, assure Michel Pradier, directeur portefeuille d'investissements chez Téléfilm Canada. Ce sont des gens qui viennent du milieu cinématographique. Des scénaristes, des gens de littérature.»

«C'est difficile de trouver de bons analystes externes, ajoute la directrice générale de la SODEC, Ann Champoux. On se les partage (avec Téléfilm). Ce sont souvent les mêmes.» Mais ils n'évaluent évidemment pas les mêmes projets.

Trop interventionnistes

L'attitude trop interventionniste des institutions est également dénoncée. Téléfilm mise beaucoup sur la capacité des projets à réussir au box-office (comme ont réussi à le faire Bon cop, bad cop ou encore De père en flic) et veut donc mettre son grain de sel dans les scénarios.

«Je trouve qu'il y a trop d'interventions dans le contenu et la production des films, déplore Roger Frappier. On ne fait pas assez confiance aux équipes de production. Il faut être capable de prendre des risques.»

Pour plusieurs, cette attitude frileuse bloque les producteurs qui n'ont pas la chance de bénéficier d'enveloppes à la performance. Cet argent est remis par Téléfilm Canada lorsqu'un film génère des recettes importantes au box-office.

Le producteur peut ensuite l'utiliser pour concrétiser un autre projet sans que l'institution ait un droit de regard. C'est ce qui a permis notamment à Nicole Robert d'aller de l'avant avec Les sept jours du talion, réalisé par Podz, qui avait auparavant essuyé cinq refus de la part de Téléfilm. Même chose pour Borderline, un long métrage de Lyne Charlebois déposé à trois reprises auprès de cette même institution.

Michel Pradier nie que Téléfilm refuse de donner son aval à des idées plus audacieuses.

«On entend des légendes urbaines qui disent qu'on n'a pas financé un film parce qu'il avait des positions politiques X ou des valeurs morales X. C'est tout à fait faux. Ces bases-là sont indéfendables, ce n'est pas notre rôle. On base notre évaluation sur les qualités scénaristiques, de réalisation, d'atteinte de mise en marché, de capacité du producteur à mener un projet à terme.»

Un système acceptable

Pour leur part, les réalisateurs Alain Desrochers et Émile Gaudreault affirment sans ambages qu'ils peuvent difficilement critiquer le système. Leurs films (La bouteille et Nitro dans le cas d'Alain Desrochers; De père en flic pour Émile Gaudreault) ont toujours reçu l'aval des institutions. «Je trouve ça efficace. Mes films sont financés quand j'en ai besoin», souligne Alain Desrochers.

«Les gens des institutions font un travail presque impossible, mentionne Émile Gaudreault. Ils essaient de satisfaire tout le monde. Il n'y aura jamais de solution. Il va toujours y avoir des gens qui vont être frustrés.»

Chose certaine, les solutions pour améliorer le système ne sont pas faciles à trouver, admettent la majorité des producteurs et des réalisateurs interrogés.

«Un système est bon, jusqu'au moment où on en trouve un meilleur», résume la productrice Denise Robert (L'âge des ténèbres, Oscar et la dame rose).

En attendant, tous partagent la même préoccupation: pendant que le nombre de cinéastes de talent augmente, les fonds disponibles diminuent.

«Tout le monde est plein de bonne volonté. Il y a de très bons choix qui se font. Ces gens-là croient en notre cinématographie, constate Denise Robert. Mais ils n'ont pas les moyens pour répondre à la demande. La vraie question c'est plutôt: qu'est-ce qu'on va faire avec tous ces talents?»

 

Films financés depuis 5 ans

> SODEC

2004-2005: 12
2005-2006 (avec l'ajout du 10 millions): 26
2006-2007: 26
2007-2008: 22
2008-2009: 27
2009-2010: 24

> Téléfilm (production et post-production)

2004-2005: 45
2005-2006: 50
2006-2007: 58
2007-2008: 63
2008-2009: 67

Avec la collaboration d'Anabelle Nicoud