Elle avait envie de filmer une grande histoire d'amour et elle avait envie de travailler avec Kristin Scott Thomas. Les deux souhaits de Catherine Corsini ont été exaucés grâce à Partir. La réalisatrice de La répétition offre un film plus «adulte», à la fois solaire et sombre.

En créant Partir, drame sentimental qu'elle a tourné il y a deux ans, Catherine Corsini était persuadée que son film ne plairait pas au public. Elle y a donc mis ce qu'elle voulait, se disant que, de toute façon, le résultat allait être le même auprès des cinéphiles.

«Aussi bien se faire plaisir, alors!» a-t-elle expliqué la semaine dernière au cours d'une entrevue accordée à La Presse. La réalisatrice a donc multiplié les références au cinéma de Truffaut, utilisant même des musiques de Georges Delerue, complice musical du réalisateur de La femme d'à côté.

«À ma grande surprise, le film a plu! Avec le recul, je comprends que Partir comporte tous les éléments pour séduire le public: une histoire d'amour, des scènes charnelles, un souffle romanesque, etc. Mais on ne sait jamais. J'étais convaincue que Les ambitieux, mon film précédent, obtiendrait beaucoup de succès et ce ne fut pas du tout le cas. On ne peut rien prévoir.»

Catherine Corsini estime qu'un cinéaste doit un jour ou l'autre filmer une grande histoire d'amour. Après plus de 25 ans de cinéma, ce moment est arrivé pour la réalisatrice de La nouvelle Ève.

«La démarche évoque bien entendu les héroïnes du passé, qu'on pense à Anna Karénine ou à madame Bovary, mais je trouvais aussi important de camper cette histoire dans un contexte social contemporain, dit-elle. Je voulais montrer qu'une femme plus mûre pouvait aussi avoir droit à une grande histoire d'amour. Et je voulais filmer ça de façon très franche. J'ai emprunté une approche crue, mais je tenais à ce que l'ensemble soit aussi très beau sur le plan esthétique.»

Rapports conjugaux classiques

Kristin Scott Thomas prête ainsi ses traits à Suzanne, femme de médecin à l'aube de la cinquantaine dont le coeur et les sens chavirent de façon inattendue le jour où elle fait la rencontre d'un ouvrier (Sergi Lopez). Ce dernier, venu faire des travaux dans la luxueuse maison du couple, se laisse happer par cette passion que ne pourra tolérer le mari (Yvan Attal). Le médecin préférera exercer sur sa femme un chantage économique éhonté plutôt que de la laisser aux mains d'un bum qui ne provient pas de leur milieu.

Cette histoire aborde ainsi l'usure d'un couple dont les rapports conjugaux se révèlent assez traditionnels.

«Je sais qu'au Québec, les rapports entre hommes et femmes sont plus égalitaires, reconnaît-elle. La France est un vieux pays latin aux prises avec d'anciens réflexes. Évidemment, tous les couples ne sont pas comme ça, mais ce vieux fond de machisme est encore très présent. Ces comportements terribles qu'empruntent parfois des gens tout à fait respectables existent bel et bien. La souffrance peut transformer certains individus en véritables monstres. Cela n'excuse en rien des actes répréhensibles, cela dit.»

Enflammer le brasier

Fascinée par Kristin Scott Thomas, avec qui elle désirait travailler depuis longtemps, Catherine Corsini a pratiquement écrit son film en pensant à la plus francophile des actrices britanniques. Et a imaginé pour elle un amant aussi improbable qu'évident: Sergi Lopez.

«Je trouvais en outre intéressant que les deux amants soient d'origine étrangère, explique la réalisatrice. Comme s'ils venaient foutre le bordel dans une ville de notables de province bien installés.»

Or, la rencontre cinématographique entre l'Anglaise et le Catalan ne fut pas féconde dès le départ.

«Autant Kristin que Sergi sont très sollicités, relate Catherine Corsini. Je n'ai pas pu travailler en amont avec eux. De sorte que nous nous sommes pratiquement rencontrés le premier jour du tournage. Ce fut catastrophique. Rien ne fonctionnait. Au point où je suis rentrée le soir à l'hôtel avec le sentiment de m'être carrément trompée. Puis, je les ai secoués un peu. Comme ce sont de grands acteurs, nous sommes parvenus à tirer quelque chose de la situation, et nous avons profité de l'occasion pour nourrir les scènes. Dès qu'ils ont accepté de s'abandonner, tout s'est bien déroulé. Avec Kristin, dont il émane une froideur un peu cinglante, je voulais voir s'il était possible de faire embraser le feu intérieur qui l'anime. Il a fallu beaucoup d'allumettes pour enflammer le brasier, mais ce fut fascinant!»

La cinéaste, à qui l'on doit notamment La répétition (avec Emmanuelle Béart et Pascale Bussières), estime par ailleurs que l'égalité entre hommes et femmes reste encore à conquérir dans le milieu du cinéma.

«Quand je suis arrivée, j'ai vraiment cru que nous y étions, car il y avait autant de filles que de garçons dans les écoles de cinéma, fait-elle remarquer. Mais j'ai vite constaté que les filles ont beaucoup plus de mal à se remettre d'un échec. Comme la grande majorité de ceux qui ont les clés du pouvoir sont des hommes, il y a forcément un déséquilibre. Même chose du côté de la critique. On ne trouve pratiquement pas de rédactrices en chef ni de femmes critiques «leaders d'opinion» dans les grandes publications. Qu'on le veuille ou non, cela joue beaucoup sur les perceptions.»

Partir prend l'affiche le 28 janvier. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.