Niels Schneider courait rue d'Antibes, le souffle court. J'ai failli ne pas le reconnaître, jeans bleus et chandail vert, sans son noeud papillon. «Niels!», lui-ai je crié, depuis l'autre côté de la rue. «Marc! Ça va?»

Il courait vers les délibérations du jury de la Semaine de la critique, dont il fait partie cette année. «Je suis prêt à me battre, m'a-t-il dit en souriant, soulevant ses poings à la hauteur de son menton. Et toi, tu vas voir un film?»

Il était 20h48 mercredi soir. Je le sais parce que j'avais raté le coup d'envoi de la finale de la Ligue Europa. La première disputée par «mon» équipe, Manchester United, deux jours seulement après les terribles attentats de lundi au Manchester Arena.

«Je vais voir un match de foot!», lui ai-je avoué, un peu gêné. «Tu es à Cannes et tu vas voir du foot! C'est honteux!», m'a-t-il répondu en riant. Il n'a pas tort. C'est pourtant un de mes rituels cannois. Chaque fois que je suis au Festival, je vais une fois chez Morrison's, un pub irlandais de la rue Teisseire, voir un match de mon club préféré, malgré un horaire de projections extrêmement chargé.

Je n'ai pas proposé à Niels de m'accompagner. Il avait un combat à mener avant le dévoilement des lauréats de la Semaine de la critique, hier soir. Ça va très bien pour le comédien québécois depuis qu'il s'est installé à Paris il y a cinq ans. Après avoir remporté le trophée Chopard de la révélation de l'année à Cannes en 2011, il a enchaîné les rôles au théâtre et au cinéma. 

Plus tôt cette année, l'acteur de 29 ans a remporté le prestigieux César du meilleur espoir masculin pour Diamant noir, un film d'Arthur Harari, dont il est la tête d'affiche.

C'était 2-0 pour United lorsque Wayne Rooney, le capitaine emblématique des Reds, est entré dans le match. Mes voisins au pub, des fans de l'Ajax d'Amsterdam, avaient la mine basse. Au sifflet final, je suis sorti discrètement, direction quartier général de la Quinzaine des réalisateurs, où avait lieu, sur la terrasse du toit du Marriott, la fête pour le film de Sofia Coppola, The Beguiled.

Je suis arrivé au même moment que Colin Farrell, l'une des vedettes du film. Il est entré en coup de vent, devancé par son agent, devant des dizaines d'admirateurs faisant le guet devant l'hôtel.

Je n'ai pas eu le temps de lui demander s'il avait attendu la fin du match, comme moi, pour faire un saut au party, ou s'il avait été contraint d'assister à la première de son film au Théâtre Lumière.

Dans l'ascenseur, une relationniste a demandé à sa collègue pourquoi le jeune homme qui l'accompagnait venait de partir. «Parce que c'est l'homme le plus ennuyeux de la planète!», lui a-t-elle répondu, exaspérée. J'ai baissé les yeux par solidarité masculine.

À la porte de la terrasse, j'ai croisé l'actrice du Redoutable de Michel Hazanavicius (sur Jean-Luc Godard), Stacy Martin, se faufilant incognito parmi des invités surtout américains.

La dernière fois que j'avais mis les pieds sur cette terrasse, le Club Costes by Albane (un nom typiquement français), c'était pour accompagner Xavier Dolan à la soirée des lauréats du Festival 2014, après son Prix du jury pour Mommy.

Cette boîte de nuit éphémère, aménagée tous les ans à Cannes par la «reine des nuits parisiennes» Albane Cléret, est LE lieu incontournable des soirées mondaines cannoises. C'est du moins ce que j'ai lu dans Paris Match. Je m'y suis tout de suite senti dans mon élément...

En allant chercher une coupe de champagne, j'ai croisé Elle Fanning au bar. Elle mesurait une tête de plus que moi dans ses talons (c'est-à-dire deux têtes de plus que Colin Farrell).

Kirsten Dunst est arrivée avec son nouveau beau. Je ne savais pas qu'elle avait un nouveau beau, ni qui était ce beau, ni du reste qu'ils s'étaient rencontrés sur le tournage de la série Fargo.

Secret du métier, comme dirait Pierre Brassard: il est toujours utile, dans ces soirées, de s'entourer de gens qui s'y connaissent en matière de mondanités. J'avais devant moi un sympathique journaliste de Vanity Fair, au courant des tout derniers potins.

Qui se ressemble s'assemble. J'ai passé la soirée en compagnie de collègues américains, notamment du New York Times, de New York Magazine et du Los Angeles Times. Pendant que les serveurs portaient de généreux plateaux fumants au-dessus de leurs têtes jusqu'à l'espace réservé aux invités VIP, nous grappillions ce que nous pouvions de petites bouchées. Si bien que j'ai dû manger des profiteroles avant un risotto. Ce à quoi il ne faut pas s'abaisser...

J'ai eu un coup de vieux en constatant que j'étais, parmi les journalistes présents, celui qui fréquentait le Festival depuis le plus longtemps (mon premier séjour remonte à 2000). Je me suis consolé en apprenant que j'étais le seul à détenir le fameux badge blanc, «top du top» des accréditations. Vieillir comporte quelques avantages.

«Vous êtes seulement la deuxième personne que je vois avec un badge blanc», m'a dit une jeune journaliste allemande qui écrit pour une publication web de Toronto et aime le cinéma de Mathieu Denis. «C'est pour le rappel de couleur avec mes cheveux», lui ai-je répondu.

Un jeune acteur et réalisateur londonien, beau et élégant comme James Bond (époque Roger Moore) m'a raconté qu'il était à Cannes pour vendre son film à un producteur. «J'ai fait des rencontres extraordinaires. J'ai peur de me réveiller lundi matin et de réaliser que tout ça n'était qu'un rêve.» C'est possible...

Il se faisait tard. Je n'avais pas encore vu Sofia Coppola. Je n'aurais pas été surpris d'apprendre qu'elle avait boudé son propre party, tellement elle est timide. Je l'ai retrouvée un peu avant 1h dans le salon VIP, avec ses actrices (sauf Nicole Kidman). Peut-être que les généreux plateaux des serveurs ne s'étaient pas rendus jusqu'à elle? Elle mangeait une pointe de pizza toute simple comme celles que l'on trouve après la fermeture des bars, à 2 $, dans les bouis-bouis de la rue Saint-Denis.