Au moment où un petit groupe de journalistes québécois a réussi à l'agripper quelques minutes, Xavier Dolan s'apprêtait à monter les marches du Théâtre Lumière quatre heures plus tard. À la simple question « Comment tu te sens ? », posée par La Presse, le cinéaste québécois n'a pas hésité à entrer dans le vif du sujet.

Même s'il dit être resté loin des médias sociaux après la présentation de la projection de mercredi, destinée aux journalistes, il aurait fallu s'exiler sur une autre planète pour ne pas être au fait de l'accueil tiède - et très polarisé - qu'a obtenu Juste la fin du monde.

« Disons que le circuit émotif a été vraiment très riche, a-t-il confié. J'ai traversé toutes sortes d'émotions. Même si je n'aime pas l'expression, ç'a vraiment été des montagnes russes. Parce que c'est ça. » 

« Il y a une culture de la détestation vraiment très ressentie à Cannes. Je suis ici depuis quatre jours, et tout ce que j'entends, c'est qu'un film sur deux se fait siffler ! », constate Xavier Dolan.

« À un moment donné, on se pose des questions sur le bien-fondé de tout ça, les réseaux sociaux, le fait de donner son avis tellement rapidement, de réfléchir en 140 caractères en quelques secondes dès qu'on sort d'une projection. Il y a quelque chose de traumatisant là-dedans », analyse-t-il.

Le mal est fait

La veille, Xavier Dolan était allé lui-même assister à la répétition technique de la projection de presse, à la grande surprise du projectionniste d'ailleurs, parce qu'il tenait à ce que tout soit impeccable.

« Quelques heures plus tard, tu reçois ça pis tu dis : "Câlisse." Cela dit, après, tu te réveilles le matin et tu constates qu'un sens de l'équilibre est retrouvé. Il y a des voix qui se sont élevées au-dessus des autres. Les gens du Festival me disent que même eux, depuis hier, entendent des choses qui laissent croire que la conversation évolue. Tout à coup, des gens changent leur fusil d'épaule. Évidemment, le mal a déjà été fait. Et ça m'a fait beaucoup de chagrin. »

Même si ce sixième long métrage a été descendu en flammes, surtout par la presse américaine, il reste qu'il a aussi ses ardents défenseurs au sein de la presse internationale.

« L'ennui, c'est que ces gens-là ne se sont pas exprimés immédiatement comme les autres. J'ai vu cinq critiques américaines négatives de suite. On s'entend qu'il y a un problème. Les Américains ne comprennent pas le film. Les États-Unis sont à peu près le seul territoire où Juste la fin du monde n'a pas encore été acheté. »

Une surprise

Très fier de sa nouvelle offrande, Xavier Dolan a été surpris par cette polarisation. Même s'il savait bien qu'un jour, il passerait à la trappe, lui comme les autres.

« Oui, il y a probablement ce phénomène qui est entré en ligne de compte, mais ça ne me semble pas être le bon film pour ça. On a vraiment été surpris collectivement. Pour Mommy, on ne s'attendait à rien. Mais là, ç'a été vraiment une balle courbe. »

À l'évidence, grâce au succès qu'a obtenu son film précédent (prix du jury à Cannes il y a deux ans), ou plus justement à cause de ce succès, Juste la fin du monde était assurément l'un des films les plus attendus de cette compétition.

« C'est bien évident que je n'allais pas faire Mommy 2, explique le cinéaste. Je ne vais pas passer ma vie à raconter la même histoire. J'étais heureux d'élargir un peu le cercle familial et de sortir des relations mère-fils. J'ai bien vu les erreurs que j'ai faites dans mes films précédents, j'ai lu beaucoup de critiques et ç'a été très constructif pour moi. » 

« J'ai aussi eu beaucoup de plaisir à faire le montage de Juste la fin du monde car ce que j'avais devant moi me rendait très fier. J'avais vraiment l'impression d'avoir quelque chose de fort », dit Xavier Dolan.

La fin d'un cycle

Xavier Dolan a le sentiment de terminer maintenant un cycle. Dont le dernier volet sera The Life and Death of John F. Donovan, son premier film anglophone.

« Jusqu'à maintenant, mes films étaient très intimes, très personnels, dit-il. Je garderai une approche personnelle dans mes prochains films, avec la même sincérité, mais je veux élargir les thèmes, me décoller de moi-même. »

En principe, deux prochains projets, sur lesquels il n'a pas voulu trop s'étendre, se concrétiseront à la télévision. Une série écrite par Jacob Tierney, dont il signera la réalisation, devrait être produite pour le réseau Fox. Aussi au programme, une série télévisée adaptée d'un jeu de société, non nommé.

« Ça adonne comme ça, fait-il remarquer. Mais ce sont des choses, complètement éloignées de moi, qui peuvent se tourner rapidement. J'ai envie d'un cinéma de genre aussi. Et j'ai envie de jouer. »