Une actrice sud-coréenne a dénoncé «l'hypocrisie» du festival du film de Berlin pour avoir invité un réalisateur qui l'avait agressée, tout en présentant l'événement comme un forum de lutte contre les abus dans l'industrie du cinéma.

En 2017, l'actrice qui demande à garder l'anonymat, a accusé le réalisateur sud-coréen renommé Kim Ki-duk de l'avoir agressée physiquement et sexuellement.

Pendant le tournage du film Moebius sorti en 2013, affirme-t-elle, il l'a battue et forcée à filmer des scènes de nu et de relations sexuelles qui ne figuraient pas dans le scénario.

M. Kim, 57 ans, est l'un des plus grands cinéastes de Corée du Sud. Il a obtenu en 2012 le Lion d'or du meilleur film au festival de Venise pour Pieta et l'Ours d'argent à Berlin pour Samaria en 2004.

Son dernier film, Human, Space, Time and Human, sera diffusé en première mondiale dans la sélection «Panorama» de la 68e Berlinale, qui s'ouvre jeudi.

«Je trouve la décision d'inviter Kim profondément triste et extrêmement hypocrite», a-t-elle déclaré à l'AFP, se disant «anéantie».

«Kim a été reconnu coupable de m'avoir agressée physiquement pendant le tournage. Mais la Berlinale lui déroule le tapis rouge tout en vantant son soutien au mouvement #metoo», déferlante mondiale contre les agressions et le harcèlement sexuels.

Gifles

Le directeur de la Berlinale, Dieter Kosslick a expliqué récemment que l'édition 2018 mettrait un coup de projecteur sur les agressions sexuelles dans le cinéma, et servirait de «forum» afin de «contribuer à un vrai changement».

#metoo est né début octobre dans la foulée des révélations d'abus sexuels commis pendant des années par le tout-puissant producteur de cinéma américain Harvey Weinstein.

M. Kosslick a également dit avoir disqualifié une poignée de films car un réalisateur, un acteur ou un scénariste faisait l'objet d'accusations crédibles de harcèlement.

L'actrice, qui avait fini par être remplacée par quelqu'un d'autre, s'est exprimée en décembre lors d'une conférence de presse sur les abus subis.

Ce type d'accusation est rare dans la lucrative industrie sud-coréenne du film, qui est dominée par les hommes.

Mais il n'empêche qu'elle parlait cachée par un écran blanc, de peur, a-t-elle dit, du harcèlement en ligne et d'être mise au ban d'une société patriarcale.

«Un jour, Kim a dit: "Je vais créer de l'émotion" et m'a soudainement giflée très fort à trois reprises devant tout le monde, avant de tourner la caméra vers moi et de filmer», avait-elle raconté. «J'étais très choquée (...) mais j'ai dû commencer à jouer tout de suite». Personne dans l'équipe «n'a dit un mot pour l'arrêter».

«Banni à vie»

Le parquet de Séoul a abandonné, faute de preuves, les poursuites pour abus sexuels mais a condamné M. Kim à une amende de cinq millions de wons (5900 $) aux termes d'une procédure qui permet de régler les affaires mineures sans passer par le tribunal.

Le réalisateur a reconnu l'avoir giflée afin de lui donner «une leçon de comédie» et dément tout autre manquement.

D'après Hong Tae-Hwa, directeur du secrétariat de la Fédération des employés du film coréen, les Sud-Coréennes qui sont devant et derrière la caméra ont peur d'accuser les personnalités.

«Elles sont terrifiées de voir leur carrière s'achever. On peut être banni à vie pour avoir évoqué le moindre abus de réalisateurs ou de producteurs».

M. Kosslick a déclaré à l'AFP être au fait de ces accusations, soulignant cependant que les chefs d'abus sexuels avaient été abandonnés. «De toute évidence, la Berlinale condamne et s'oppose à toutes les formes de violences ou d'abus sexuels».

M. Kim fait profil bas et refuse de parler aux médias.

Mais les médias sud-coréens ont largement présenté son retour à Berlin, premier grand festival de cinéma en Europe de l'année, comme son retour en grâce. Le tabloïd sportif Ilgan Sports a ainsi proclamé en une: «Problèmes à la maison, amour à l'étranger».

Il a fallu à l'actrice quatre ans pour parler après que l'industrie lui eut dit qu'elle avait «zéro chance» de gagner en justice contre M. Kim, dont la carrière «serait à peine égratignée».

«Le festival de Berlin donne raison à ces gens», dit-elle à l'AFP, appelant les organisateurs de festivals à prêter davantage attention aux petites mains de l'industrie.

«À la différence des célèbres actrices d'Hollywood qui ont parlé pendant la campagne #metoo, je suis juste une obscure actrice d'un petit pays d'Asie. Mais cela ne veut pas dire que mes souffrances peuvent être passées sous silence».