Révélée grâce au cinéma d'Arnaud Desplechin et de Jacques Audiard, Emmanuelle Devos se glisse dans la peau d'une femme d'une autre époque pour la première fois dans un grand rôle. Violette a obtenu le prix du public au festival Cinemania de Montréal.

Elle est née artistiquement dans l'effervescence de l'après-guerre. Même si elle a côtoyé les plus grands, même si elle fut du mouvement littéraire qui a enflammé les plus beaux esprits du Café de Flore pendant la glorieuse époque de Saint-Germain-des-Prés, l'écrivaine Violette Leduc reste plutôt méconnue de nos jours. Sa notoriété n'a en tout cas rien à voir avec celle de ses contemporains: Sartre, Camus, Genet. Sans oublier, bien entendu, celle à qui elle doit pratiquement sa carrière littéraire: Simone de Beauvoir.

«Pour être honnête, je ne connaissais pas Violette Leduc du tout», concède Emmanuelle Devos, interprète de l'écrivaine dans Violette, plus récent film de Martin Provost (Séraphine). «Quand j'ai su que je la jouerais, je me suis évidemment plongée dans son oeuvre. Comme, en plus, j'avais du temps à ma disposition - un luxe rare -, j'ai aussi fait beaucoup de recherches. J'ai lu sa biographie, écouté les interviews qu'elle a accordées à la radio vers la fin de sa vie. J'ai aussi pu lire ses correspondances. C'est d'ailleurs à travers ces écrits-là que sa personnalité s'est davantage révélée à moi. On pouvait alors sentir sa respiration.»

Avec Simone de Beauvoir

La première fois où elle a rencontré Martin Provost, l'actrice, qui était de passage à Montréal la semaine dernière, ne savait pas encore qu'elle était la seule que l'auteur-cinéaste envisageait dans le rôle de Violette Leduc.

«Au moment de cette rencontre, le scénario n'existait pas encore, précise-t-elle. J'ai voulu voir Martin parce que j'avais adoré Séraphine, son film précédent. Sa vision était tellement enthousiasmante que j'ai donné mon accord tout de suite, à la condition, évidemment, que le scénario me plaise une fois écrit. Cela dit, j'avais pleinement confiance. Et le scénario fut vraiment à la hauteur de mes attentes. Nous avons tourné ce film trois ans plus tard.»

Au coeur de Violette, la relation entretenue avec Simone de Beauvoir sur le cours de toute une vie pratiquement. En quête d'amour absolu, la jeune Violette s'éprendra de l'auteure du Deuxième sexe, mais cette dernière agira plutôt à titre de mentor et de mécène envers elle.

«Simone était intéressée par Violette en tant qu'écrivaine, fait remarquer Emmanuelle Devos. Elle était séduite par l'écriture, et par la façon très franche avec laquelle Violette exposait des thématiques féminines dont on ne parlait pas à cette époque. L'avortement, notamment. Simone estimait qu'il était important que ces choses-là soient dites d'une façon qu'elle ne pouvait se permettre elle-même en tant que sociologue et philosophe. À ses yeux, la parole de Violette était nécessaire pour la société, pour les femmes, pour la littérature.»

Sur la recommandation d'Emmanuelle Devos, Sandrine Kiberlain a hérité du rôle de Simone de Beauvoir.

«Sandrine est une amie, dit-elle. Nous étions en train de travailler ensemble quand le projet de Violette est arrivé. Je l'ai tout de suite vue dans ce rôle. Dans mon esprit, le fait que je puisse tomber amoureuse d'elle ne semblait pas relever de l'impossible. Quand je lis un scénario, j'ai besoin de m'imaginer dans toutes les situations. Quand on joue les scènes avec un ou une partenaire avec qui l'on se sent bien, ça devient alors très simple.»

Relations passionnelles

En quête d'affection, entretenant des relations souvent passionnelles avec ses proches et avec ceux qu'elle a côtoyés, Violette Leduc est une «attachiante» aux yeux de l'actrice, une expression qu'elle a trouvée sur le plateau pour décrire un personnage qui peut être à la fois séduisant et exaspérant.

«Il fallait trouver le dosage entre ces deux pôles, mais j'y suis allée à l'instinct, explique Emmanuelle Devos. J'ai aussi aimé le fait que Martin n'ait pas trop appuyé sur l'aspect plus "harcelant" que pouvait parfois avoir ce personnage.»

L'actrice admire d'autant plus l'auteure de La bâtarde que cette dernière a émergé à une époque où les voix des femmes étaient encore tues.

«Son destin d'écrivaine est né dans l'après-guerre, à une époque où c'était encore passablement compliqué pour les femmes. Cela dit, la littérature occupait quand même un espace très grand. C'était un temps où une femme comme elle, née d'une femme de ménage, qui a grandi en pension, pouvait néanmoins avoir accès à une éducation et se mettre à écrire comme elle l'a fait. C'est quand même incroyable! On a presque l'impression qu'il y avait, à cette époque, plus de liberté pour les écrivains qu'il y en a maintenant!»

Violette prend l'affiche le 29 novembre.