«Pas question d'élections au Canada», répète sans cesse la petite Luce Malia, 13 ans, en rentrant chez elle avec sa soeur, mardi dernier à Cap-Haïtien, métropole du nord d'Haïti. «Est-ce que tu as mangé?» répond sa soeur Herdina, 16 ans.

Les répliques de leur mère, comédienne du film Guibord s'en va-t-en guerre - présenté en première haïtienne un an et demi après sa sortie québécoise -, les amusent beaucoup sur le chemin de la maison.

«On vous avait promis qu'on viendrait présenter le film ici», a rappelé le réalisateur Philippe Falardeau avant la projection de mardi devant une salle pleine. Il boucle aujourd'hui avec Irdens Exantus, jeune comédien québécois d'origine haïtienne, une tournée de trois jours en Haïti pour y présenter sa production. Le film a été tourné en partie à Cap-Haïtien durant une semaine de décembre 2015.

Cette promesse avait une signification particulière pour Philona Jean, mère de Luce Malia et d'Herdina. Professeure de lycée et militante pour les droits humains, elle joue le rôle de la mère du personnage d'Exantus dans ce film sur les déboires d'un député québécois au Parlement canadien, interprété par Patrick Huard.

«J'ai des amis au Canada qui m'ont appelée après avoir vu le film. Je trouvais de petites séquences sur YouTube, mais on demandait de l'argent pour le voir en entier. Philippe avait dit qu'il viendrait le présenter ici et j'attendais ce jour», explique la comédienne Philona Jean.

Unis par la politique

De nombreux éclats de rire ont égayé le public lors des projections, à la grande surprise de Falardeau et d'Exantus, qui redoutaient la barrière de l'accent. Ils ont d'ailleurs fait une courte présentation du lexique et des jurons proprement québécois avant chaque projection.

«Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant de rires», a raconté Exantus après la première projection.

«Malgré la barrière culturelle, qui fait que ce n'est pas tous les gags qui passaient, les gens ont suivi le propos et se sont lancés dans des comparaisons et des liens entre la politique en Haïti et la politique au Canada», poursuit Falardeau.

«C'est partout pareil avec les astuces, les feintes ou les audaces des politiciens, explique justement Philona Jean. La politique, c'est de la négociation. C'est comme ça en Haïti aussi. Même si les deux personnages principaux du film viennent de cultures différentes, ils viennent se retrouver dans la politique.»

Téléfilm Canada à Port-au-Prince

Cette politique rattrape d'ailleurs l'équipe du film puisque c'est la sénatrice de la région qui a organisé la première projection mardi soir. Un membre de son équipe est d'ailleurs venu accueillir les deux invités à l'aéroport.

La politicienne entretient de bonnes relations avec l'équipe du film depuis le tournage. Celle-ci avait aidé grandement la production par l'entremise du bureau régional du tourisme qu'elle dirigeait à l'époque, avant son élection.

«Pour dire les choses franchement, cette projection a été "récupérée" par la politicienne, ajoute à la blague Falardeau. Ça tombe sous le sens puisque c'est en grande partie grâce à elle que j'ai pu tenir ma promesse de revenir. Il y a de la politique partout!»

«La politique, c'est des tractations et des faveurs d'une part et, d'autre part, l'impossibilité de satisfaire tout le monde. Et en Haïti encore plus que chez nous probablement. Là-dedans, je pense qu'ils se reconnaissent.»

La dernière projection du film en Haïti se fera ce soir lors d'un cocktail organisé par l'ambassade du Canada à Port-au-Prince.

Un représentant de la direction Téléfilm Canada, arrivé au pays hier, sera d'ailleurs sur place pour entamer une mission exploratoire en Haïti. Selon certaines sources, le principal bailleur de fonds du cinéma canadien caresserait le projet de financer une ou deux productions canadiennes en Haïti afin d'améliorer la représentativité des minorités dans le cinéma canadien.