Le tableau est impressionnant. Au bout d'une petite route du village de Saint-Anicet, près de Salaberry-de-Valleyfield, nous arrivons à Droulers-Tsiionhiakwatha, le site archéologique d'un ancien village d'Iroquoiens qui a existé vers 1450. Débarquée il y a quelques jours, l'équipe d'Hochelaga, terre des âmes a littéralement fait revivre ce lieu.

Lors de notre visite, dimanche après-midi, sur le plateau, des morceaux de truite et d'anguille étaient suspendus à des branches. Un chevreuil mort était accroché par les pattes. Quelques maisons longues retrouvaient leur véritable cadre.

On a ensuite vu arriver une centaine de figurants d'origine amérindienne habillés et coiffés comme l'étaient leurs ancêtres en 1535. Car nous sommes en octobre de cette année-là, au moment où Jacques Cartier effectue son deuxième voyage au Canada et qu'il fait la rencontre des habitants d'Hochelaga.

Au moment de la visite de La Presse, on préparait deux scènes majeures du film: celle où Jacques Cartier et ses hommes, escortés par des femmes du village, font leur entrée dans la bourgade et celle où, dans une maison longue, il font la rencontre du chef du village.

«Ça fait 20 ans que je travaille dans des décors de François Séguin et chaque fois je suis renversé, dit le réalisateur François Girard entre deux bouchées du repas tiède qu'il avale en toute vitesse. Nicolas Bolduc est le magicien des lumières et Mario Davignon, celui des costumes. Je suis tellement bien entouré.»

Le cinéma québécois n'a pas beaucoup de fresques historiques à son actif. Celle d'Hochelaga, terre des âmes viendra combler une importante lacune. 

«Je suis tenté de dire qu'on fait peu de films historiques pour des raisons budgétaires. Mais je dirais plutôt que pour nous, dont la devise est "Je me souviens", l'histoire ne fait pas partie de notre vie. Et je trouve cela dommage», explique le producteur Roger Frappier.

Doté d'un budget de 14,9 millions de dollars, Hochelaga, terre des âmes racontera 750 ans d'histoire à Montréal. Le film commencera par une scène de match de football qui se déroulera au stade Percival-Molson de nos jours. Un affaissement de terrain amènera un archéologue, joué par Samian, à effectuer des fouilles à cet endroit. Est-ce que ce lieu, au pied du mont Royal, fut celui où était autrefois situé le village d'Hochelaga? C'est ce que l'archéologue tentera de savoir. Le spectateur reculera dans le temps en 1267, en 1535, en 1687, en 1837 et en 1944.

Le tournage automnal prend fin dans une semaine. Deux autres semaines de tournage sont prévues en janvier.

Jacques Cartier vu par Vincent Perez

Lorsque Roger Frappier a proposé à Vincent Perez de personnifier Jacques Cartier, l'acteur a sursauté. «Je me suis dit: "Wow! Pourquoi pas?"», raconte-t-il sur le plateau de tournage, juste avant d'endosser le costume du navigateur.

Le comédien français qu'on a vu dans Cyrano de Bergerac, La reine Margot et Indochine est débarqué au Québec il y a une semaine. Il est arrivé ici avec une certaine idée du célèbre personnage qu'il s'apprêtait à incarner. 

«J'essaie surtout de ressentir ce que cela a pu être pour un homme de découvrir un autre monde. Je tente de retrouver la position vertigineuse qu'il a eue. Ça devait ressembler à celle qu'a connue le premier homme à marcher sur la Lune.»

Le public québécois sera sans doute très curieux de découvrir la représentation de Jacques Cartier, un personnage historique et mythique pour lui. «Quand je franchis le pont Jacques-Cartier ou que je passe par la place Jacques-Cartier, j'essaie de ne pas trop songer à l'importance de ce personnage», dit Vincent Perez.

Pour celui qui s'est laissé pousser la barbe afin de ressembler à l'explorateur, la présence de figurants d'origine amérindienne sur le plateau a facilité son travail. «On a des discussions fascinantes. Tout ce qui touche la transmission de la mémoire par l'oralité me fascine.»

Vincent Perez voit son personnage comme un «envahisseur», qui «va à la rencontre de l'autre». «Il ne faut pas oublier que Jacques Cartier était en mission. Il était une sorte d'extension du roi et de Dieu», dit celui qui a dû se plonger dans le latin et qui doit s'exprimer en vieux français. «En effet, je rrrrrrrroule mes r», dit-il en riant.

Vincent Perez tournait sa dernière scène dimanche après-midi. En soirée, il prenait l'avion pour l'Europe, où l'attendait le tournage de la série anglaise Riviera de Neil Jordan et celui du prochain film de Roman Polanski.

L'histoire selon François Girard

Hochelaga, terre des âmes emprunte à l'Histoire. Mais c'est aussi le point de vue d'un réalisateur. D'ailleurs, François Girard affirme que c'est son film le plus personnel. Le réalisateur de 32 films brefs sur Glenn Gould et de Soie veut en profiter pour remettre certains pendules à l'heure.

«La venue de Cartier a été beaucoup racontée par les Européens, dit-il. On a évidemment glorifié son attitude héroïque. Au fond, ce n'est pas tout à fait cela. La vérité est que lui et ses hommes avaient peur de mourir. Ils s'étaient raconté toutes sortes d'histoires de cannibales qui allaient les manger. Finalement, ils sont arrivés ici pour découvrir une société très sophistiquée.»

Qu'on se le tienne pour dit, le point de vue de François Girard est davantage celui des Amérindiens que celui des Français. 

«Pour dire franchement les choses, dans ma représentation, les sauvages sont les Français. Ce sont eux qui sont mal en point, qui ont mal mangé, qui sont malades, qui ont une mauvaise hygiène et qui puent.»

Par ailleurs, pour aborder le passage du film qui se déroule en 1837, François Girard a imaginé le personnage d'une femme d'origine britannique qui est sympathisante de la cause des Patriotes. «Elle cache et protège un Québécois et un Irlandais, dit-il. On est devant un mix-up que l'Histoire n'a pas vraiment retenu. Sans doute parce que ça servait mal notre propos nationaliste, propos auquel j'adhère par ailleurs.»

François Girard ne craint pas la controverse au moment de la sortie du film prévue à l'automne 2017. «Je dis ce que j'ai à dire. Ce que j'avance, nous sommes plusieurs à le dire, dit celui qui a élaboré son scénario avec l'aide de nombreux historiens et anthropologues. Oui, sans doute que ça va faire des remous. Mais c'est cela qui m'intéresse.»

La météo, l'ennemi d'un tournage

Roger Frappier, François Girard et Vincent Perez avaient prévu s'offrir un bon repas au resto jeudi soir dernier. Mais dans la journée, ils ont pris connaissance des prévisions météo. La pluie abondante annoncée samedi est venue chambouler le plan de tournage du week-end.

Lors de notre visite sur le plateau dimanche après-midi, François Girard nous a montré sur son téléphone une capture d'écran d'un bulletin météo présenté à la télé. On y voit le palmarès des endroits au Québec où il y a eu le plus d'accumulations. «Regardez qui arrive en tête? Saint-Anicet, exactement là où on se trouve», lance-t-il en rigolant.

On a donc décidé d'annuler le repas pour revoir le plan et réécrire une scène. Il fut décidé que l'on tournerait pendant le week-end une nouvelle scène intérieure au cours de laquelle Jacques Cartier entre dans la maison longue avec ses hommes pour y rencontrer le chef du village d'Hochelaga.

«C'était la bagarre. On était dans l'eau et dans la bouette», dit François Girard. Malgré tout, un miracle s'est produit. Cette situation a donné lieu à des images d'une beauté saisissante que La Presse a pu voir.

«Il faut toujours faire d'un élément négatif un élément ultra positif, dit le producteur Roger Frappier. Il faut que le résultat soit supérieur à ce qui avait été prévu. J'ai appris cela avec le temps.»

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le réalisateur François Girard (au centre) s'est dit «renversé» par les décors signés François Séguin. Dans le film, ces maisons forment le village d'Hochelaga, sur l'île de Montréal.