À la demande de notre directeur invité, La Presse a organisé une réunion de quatre intervenants du milieu du cinéma afin de discuter des enjeux auxquels ils font face.

Les participants

Monique Simard, présidente et chef de la direction de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC)

Nancy Grant, productrice et cofondatrice de la société Metafilms (Félix et Meira, Juste la fin du monde)

Patrick Roy, président d'eOne Films Canada et des Films Séville, président du conseil d'administration de l'organisme Québec Cinéma

Hany Ouichou, président de la société Art et Essai (Prank, Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau). Le mois dernier, il recevait au TIFF le Prix du producteur émergent.

Un changement profond

Monique Simard: Quand on a de l'ancienneté, on est encore plus en mesure de mesurer à quel point les choses ont changé. Aujourd'hui, on ne produit plus de la même façon, on ne diffuse plus de la même façon, on ne distribue plus de la même façon. Comme dans d'autres domaines artistiques, le rapport entre le citoyen consommateur et ce qui lui est offert s'est transformé.

Hany Ouichou: À mes yeux, l'arrivée de Xavier Dolan constitue un élément majeur. Il nous a montré qu'il était possible de faire des films en dehors du système. Cette énergie créative peut exister sans avoir obligatoirement réalisé 10 courts métrages avant d'arriver au premier long. Le vent de fraîcheur qu'il a amené a eu un impact direct sur les choix que j'ai faits. Prank est un petit enfant de ce qui s'est passé avec Xavier. Il a été fait à l'extérieur du système.

Nancy Grant: Il est vrai que tout cela a créé, je crois, une espèce d'engouement chez les jeunes créateurs. Cela dit, je ne sais pas vraiment quelle est la différence entre «avant» et maintenant. J'ai toujours senti ce foisonnement de réalisateurs, de projets, de producteurs.

Patrick Roy: C'est bien de faire un premier film, mais après, tu fais quoi pour faire les suivants? À mon avis, on n'a jamais répondu à cette question. Je pense qu'on fait trop de films maintenant au Québec. En 2015, 55 longs métrages québécois ont été distribués en salle; 37 ont généré moins de 50 000 $ au box-office.

Une diffusion à notre image?

Patrick Roy: Le cinéma d'auteur a plus de difficulté à prendre sa place. Les gens sont assez conservateurs dans leurs choix. Si les oeuvres ne sont pas consensuelles, le public n'est pas au rendez-vous. Dans les années 2000, le succès des films à vocation populaire avait un effet d'entraînement qui amenait les spectateurs à aller voir aussi les films d'auteur. Cet effet n'existe plus.

Hany Ouichou: Je crois qu'il est plus difficile d'attirer les jeunes vers les salles parce que les voies sont fermées pour eux. On produit des films avec des grilles de lecture qui datent d'une autre époque. On tente de mobiliser toujours le même public, qu'il s'agisse d'une grosse comédie ou d'un film qu'on veut populaire. Avec l'éclatement des médias de diffusion vient pourtant l'éclatement du public. Maintenant, le marché en est un de niches.

Monique Simard: Ce ne sont pas tant les goûts du public qui ont changé que ses habitudes. Aujourd'hui, il y a des accès technologiques maison qui n'existaient pas il y a 10 ans. Je préfère que les gens aillent voir les films en salle, mais si quelqu'un regarde un film sur son écran de téléphone ou à la télé chez lui, j'aimerais qu'on le sache. Notre système de mesure du succès est obsolète.

Nancy Grant: Au Québec, comme à peu près partout dans le monde, le cinéma est financé par l'État. Si on mettait moins l'accent sur les résultats au box-office, on aurait peut-être une autre notion de succès. Personnellement, je consomme beaucoup sur iTunes et je trouve dommage qu'il y ait aussi peu d'oeuvres francophones offertes. Comment peut-on adapter la mise en marché de nos films à une plateforme comme celle-là?

Monique Simard: Les modèles d'affaires n'ont pas changé aussi vite que les environnements économiques et technologiques. On est dans une période d'adaptation qui, à mon sens, est un petit peu trop longue à se replacer.

Fait-on les bons choix?

Monique Simard: Pour dire qu'on a une cinématographie nationale, il faut quand même qu'on ait une masse critique minimum. Et trouver l'équilibre entre les genres, ce qui est exploitable sur notre propre territoire et à l'étranger. Ce ne sont pas nécessairement les projets qui obtiennent les meilleures notes qu'on va financer. Parce que, dans certains cas, ils pourraient être tous du même genre. Alors, on calibre. Est-ce à dire qu'on fait les bons choix? Il y aura toujours une part de risque dans le cinéma...

Hany Ouichou: On trouve quand même pas mal d'exemples au Québec de films à gros budget qui n'ont pas obtenu de succès. Malgré cela, on met souvent les gros moyens à la disposition de productions qui, dirait-on, n'existent que pour gagner de l'argent. En même temps, pendant que je produisais Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau, je me suis sincèrement demandé pourquoi j'étais en train de faire ça. Parce que même si j'espère que les gens aillent le voir, je ne suis pas sûr qu'ils vont y aller. Pourquoi un film comme celui-là doit-il exister?

Patrick Roy: Un succès dans un grand festival comme le TIFF peut aider à lancer le film au Québec. Quant à ta question, Hany, la réponse appartient aux réalisateurs et à toi-même. Tu dois te demander si tu y vas de façon complètement radicale et «advienne que pourra» ou si tu te dis qu'en tant que créateur, tu vas faire quelques compromis pour être capable de rejoindre un peu plus de gens. Rendu là, c'est votre décision.

Hany Ouichou: Si on n'a pas l'appui d'un grand festival, c'est comme si l'idée de l'oeuvre tombait tout à coup. Et tu te retrouves tout seul à penser que ce film a le droit d'exister.

Nancy Grant: Mais ça, ça arrive. À mon avis, tout part du scénario. Je trouve d'ailleurs que l'évaluation du scénario ne prend pas assez de place, parfois. Bien sûr, il peut se passer à l'écran des choses qui n'étaient pas dans le scénario, mais plus je produis de films, plus je trouve que c'est rare. On a très peu de culture du scénario au Québec.

Monique Simard: Et je dirais que les comédies constituent le maillon faible de notre cinéma. Sans hésitation. Il faut énormément de travail à l'écriture et une vraie formation. Tenir une comédie pendant 90 minutes, c'est très différent d'une émission de télé ou d'un sketch. Et c'est très difficile.

L'état de notre cinéma

Monique Simard: Je dirais que nous traversons une époque tumultueuse. À cause des changements dans l'économie, la technologie, la mondialisation. Je crois que tout le domaine de l'audiovisuel au Québec est d'une très grande importance dans la formation de notre identité. C'est plus important que jamais de le soutenir.

Patrick Roy: Oui, on traverse une période tumultueuse, mais, dans ce contexte-là, il y a quand même des succès exceptionnels. On doit rétablir un équilibre entre les films populaires et les films de niche. Il faut aussi trouver des façons de renouveler notre public, de faire entrer notre cinéma dans les écoles.

Nancy Grant: Nos films rayonnent et les cinéastes québécois ont été sélectionnés dans les quatre plus grands festivals du monde cette année. Il faudrait peut-être trouver des moyens de ne pas perdre nos réalisateurs les plus accomplis. Actuellement, j'ai l'impression que nous sommes dans un laboratoire. On est tous en train de s'adapter.

Hany Ouichou: Moi, je suis plutôt optimiste. Notre industrie est presque unique au monde. Nos projets sont financés, même si ça prend parfois du temps et que c'est difficile. Le maillon le plus en danger, à mon sens, se situe du côté des scénaristes. On peut déplorer la faiblesse des scénarios, mais il faudrait peut-être aussi donner les outils qui nous permettraient de mieux travailler sur ce plan.