Auteur aussi prolifique qu'adulé, Hubert Wolfe (Michel Côté) ne compte plus depuis longtemps les succès littéraires et les conquêtes féminines. Or, sa face cachée est pour le moins... embarrassante. Car Hubert Wolfe n'a pas écrit une ligne depuis 12 ans.

C'est un ami et auteur inconnu, Dany Cabana (Robin Aubert), qui tient la plume de ses romans à suspense. Or, un jour, Cabana perd à son tour l'inspiration. Il se tourne alors vers Quentin (Antoine Bertrand), éducateur en garderie, fils à maman, puceau et auteur de livres pour enfants, pour s'acquitter de la prochaine commande.

Trois hommes, trois histoires, trois relations différentes avec les femmes. Écrit et réalisé par Stéphane Lapointe, Les maîtres du suspense est un film foisonnant. Nous avons demandé aux trois principaux comédiens de parler du film selon quatre thèmes.

Michel Côté (Hubert)

Son personnage

«Hubert peut être extrêmement antipathique. Il a un désir insatiable et une soif intarissable de gloire et d'argent, ce qui peut attirer presque 100 % de l'humanité, peu importe le domaine où l'on est. Mais jusqu'où est-on prêt à aller pour ça? Est-ce compatible avec la franchise et l'honnêteté? Hubert porte tout cela en lui. Tout va bien jusqu'à ce qu'il rencontre Maria (Maria de Medeiros) pour qui il éprouve de vrais sentiments. Lorsqu'il voit qu'elle l'aime aussi et qu'elle admire son oeuvre, son malaise devient insoutenable. La culpabilité et les remords entrent en jeu.»

Sa scène préférée

«On a tripé fort durant la scène de vaudou. Il y avait des danseurs magnifiques! Nous avions à tourner nos scènes, mais on a eu un show toute la nuit. Les gens étaient sympathiques, généreux. Ils ne se sont pas plaints malgré le froid. La scène dure cinq minutes et nous avons travaillé toute la nuit pour la faire. Ç'a été mon coup de coeur du tournage.»

Ses lectures de suspense

«J'ai lu des ouvrages de Philip Kerr (La trilogie berlinoise, Une douce flamme) ainsi que Les anonymes de R.J. Ellory. Nous avons un Québécois qui écrit de bons thrillers, Patrick Senécal. J'ai joué dans le film Sur le seuil [tiré d'un de ses romans; Côté jouait le personnage central du Dr Paul Lacasse] et j'avais dévoré 5150, rue des Ormes

Sa définition de la page blanche

«Pour moi, la page blanche, ce sont les 24 ou 48 heures avant le début du tournage d'un film. Parce que le lendemain matin, tu vas établir quelque chose avec ton personnage et tu vas être pogné avec durant le reste du projet. Si tu fais une erreur, tu t'en rends vite compte. Il y a donc un grand stress. Je ne dors pas beaucoup dans les 48 heures avant une première journée de tournage.»

Robin Aubert (Dany)

Son personnage

«J'éprouve toujours de la difficulté à décrire mes personnages, car je joue à l'instinct. Mais cela dit, Dany est un écrivain qui travaille de façon viscérale. C'est un grand romantique et lorsque sa femme le laisse, il ne pense pas à refaire sa vie, mais à retrouver sa famille. Sauf qu'il est un écrivain fantôme dont le contrat le contraint au silence. Ce qui le coince, car il doit vivre dans le mensonge alors qu'en amour, on ne peut être que vrai.»

Sa scène préférée

«Dans l'ensemble, le fait de tourner en Louisiane... c'est le fun! Je me souviens de tous ces lieux dans lesquels on jouait. New Orleans est une ville magique, autant de nuit que de jour. Puis, de se lever le matin, d'arriver dans les bayous à 5 h et de voir encore le brouillard et la brume qui flattent quasiment l'eau, de voir les aigrettes s'envoler... Tu te dis que tu es en train de tourner un film et que ça va bien!»

Ses lectures de suspense

«J'aime bien les romans de Gary Victor, un auteur haïtien. Il a écrit Saison de porcs, Soro, Treize nouvelles vaudou. J'aime beaucoup sa littérature. On suit son enquêteur Azémar Dieuswalwe (Dieu soit loué) dans les rues de Port-au-Prince. Il y a un petit côté décalé de la réalité. Le vaudou, les morts-vivants sont très présents. J'aime beaucoup cet univers.»

Sa définition de la page blanche

«Je ne la connais pas! Je la connaîtrais davantage si je ne faisais que ça [il est aussi scénariste]. J'aime bien espacer mes moments de scénarisation en faisant autre chose - écrire de la poésie, une pièce de théâtre, voyager, jouer. Tu fais alors de nouvelles rencontres, tu découvres de nouvelles manières de faire, etc. Et quand c'est le temps d'écrire un scénario, la page blanche s'efface. Il faut vivre pour écrire. Si tu ne vis pas, qu'est-ce que tu vas écrire?»

Antoine Bertrand (Quentin)

Son personnage

«Affectueusement, je le décris comme un juste milieu entre Norman Bates (Psycho) et Caillou. Quentin est une bébitte un peu asociale, décalée. Sa mère est la seule femme de sa vie. Elle est possessive et contrôlante. Or, Quentin se réconforte là-dedans. Il se convainc que c'est bien pour lui, car c'est basé sur l'amour, même si en fait c'est nocif. En fait, il refoule beaucoup de choses et c'est pour cela qu'il va finir par éclater.»

Sa scène préférée

«J'aime bien celle où Quentin échange avec les enfants pour écrire un passage du livre. C'est une scène complexe, longue, dans laquelle il y a six enfants. Il faut savoir garder le rythme dans les échanges, maintenir un bon niveau de comédie, etc. J'ai aussi travaillé avec des enfants en tournant Starbuck et j'essayais d'être leur ami, de les faire rire. Mais ça devenait difficile au moment de travailler. Alors qu'ici, on était un peu amis, mais avec une petite distance.»

Ses lectures de suspense

«Je ne suis pas un grand lecteur, mais lorsque je lis, c'est du suspense. Je lis lorsque je voyage et c'est toujours un polar. Évidemment, j'aime beaucoup les auteurs scandinaves. Je viens de commencer une série appelée Department Q (Jussi Adler-Olsen). Les personnages sont assez durs. C'est graphique, ça brasse et les façons de tuer sont tordues.»

Sa définition de la page blanche

«J'aime la définition qu'Hubert Wolfe en donne. Il dit que la page blanche signifie que tout est possible, quelque part. Moi, je n'écris pas. Par contre, j'aime penser que devant une page blanche, un auteur a un pouvoir incroyable. Oui, c'est une source d'angoisse, un Everest à surmonter que d'imaginer une histoire complète. Mais c'est toi qui décides ce que tu mets sur ta page. Il doit y avoir quelque chose de très grisant là-dedans.»

Maria de Medeiros: notre rapport aux masques

Actrice, chanteuse, réalisatrice, la Portugaise Maria de Medeiros fait carrière aux quatre coins de la planète. Or, le Québec y tient une place particulière.

Après sa participation aux films Le polygraphe, de Robert Lepage, et Meetings With A Young Poet, de Rudy Barichello, et après un passage à l'Espace Go il y a quelques années (Sextett en 2010), elle incarne Maria dans Les maîtres du suspense. Son personnage donne principalement la réplique à celui d'Hubert Wolfe (Michel Côté) avec qui elle aura une liaison.

Pourquoi Maria s'entiche-t- elle de Wolfe, cet homme de conquêtes éphémères? «Je crois que c'est parce qu'elle sait voir la faille en lui, répond la comédienne dans un entretien téléphonique depuis Barcelone. Si elle ne la voit pas, elle la ressent! Dans le film, je joue une actrice et très souvent, dans la vie, les acteurs font la différence entre qui porte un masque et qui est soi-même. Hubert est prisonnier de son masque, ce qui crée une dialectique intéressante entre Maria et lui.»

Dans son ensemble, Les maîtres du suspense porte beaucoup sur cet aspect de nos personnalités. «Le film scrute notre rapport aux masques, mais aussi le fait que nous avons tous besoin les uns des autres.»

Maria de Medeiros prépare en ce moment son nouveau spectacle de chansons. Elle espère bien venir le présenter au Québec, mais aucune date n'a encore été retenue.

PHOTO FOURNIE PAR FILMS SÉVILLE

Michel Côté et Maria de Medeiros

Stéphane Lapointe a une mission: ne pas s'ennuyer

Comme tout le monde, Stéphane Lapointe déteste s'ennuyer au cinéma. En écrivant Les maîtres du suspense, il s'est donc donné pour mission de livrer une histoire qui tiendrait les spectateurs en haleine.

«Ça manque de fantaisie dans les films, qui ont souvent la même recette, déplore-t-il. Devant ma page blanche, j'ai mis mes tripes, j'ai joué ce qui me fait rêver. J'ai voulu m'exciter moi-même.»

A-t-il longtemps cherché l'inspiration, comme Hubert Wolfe? Non, parce que Lapointe travaille constamment sur plusieurs projets en parallèle.

«Je suis assez prolifique et on dirait que les projets finissent par se nourrir les uns les autres, dit-il. De plus, lorsque j'ai eu 40 ans [il en a 43], un certain sentiment d'urgence s'est installé. Je ne suis plus un wannabe, je suis en plein milieu de ma carrière. Alors, je fonce.»

Stéphane Lapointe a un beau parcours. Depuis La course destination monde (édition 1995-1996), il a réalisé la série Hommes en quarantaine, le Bye bye de RBO en 2006, la série Tout sur moi et, cette saison, La théorie du K.O. Au cinéma, il avait signé la comédie La vie secrète des gens heureux en 2006. 

Les maîtres du suspense tire son origine d'une conversation avec un ami romancier. «Nous évoquions le travail de Stephen King qui, durant une certaine période de sa carrière, a publié quelque chose comme 14 romans de 500 pages en huit ans, dit Lapointe avec un air éberlué. Je trouvais ça un peu louche et j'ai lancé à la blague qu'à ce rythme, l'auteur devait avoir des écrivains fantômes qui devaient avoir aussi des écrivains fantômes.»

Il venait alors de tirer une ficelle qui l'a conduit jusqu'au film qui sortira sur nos écrans dans quelques jours.

_________________________________

Les maîtres du supense prend l'affiche le mercredi 17 décembre. La projection sera précédée du court métrage Toutes des connes de François Jaros.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Stéphane Lapointe