Fanny Robert, copropriétaire du Cinéma Aylmer à Gatineau, a rendu publique aujourd'hui une lettre qu'elle a fait parvenir à Patrick Roy, président des Films Séville. En gros, madame Robert déplore le fait qu'elle ne pourra présenter Mommy dans l'une de ses salles lors de sa sortie, prévue le 19 septembre. Sa missive met en outre en lumière la difficulté qu'ont certains exploitants indépendants.

À la suite de la publication de cette lettre, Patrick Roy a fait valoir son point de vue. Je reproduis intégralement les deux missives. Pas facile le monde de la distribution de films au Québec!

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Lettre ouverte à Patrick Roy, président des Films Séville

Le cinéma québécois: tout commence par l'accès à la bobine!

Cher Monsieur,

Je vous écris à la veille de la sortie de Mommy, le cinquième film de Xavier Dolan, sur les écrans québécois pour vous faire part de mon désarroi devant votre attitude.

À titre de jeune entrepreneure et de propriétaire du Cinéma Aylmer, j'attendais avec impatience, tout comme mes collègues propriétaires de salles indépendantes, l'annonce de la date de sortie du film, fixée au 19 septembre 2014. Je me faisais une joie et une fierté de présenter à mes clients cinéphiles ce film tant attendu, couronné par le Prix du Jury au plus récent Festival de Cannes. Couvert d'éloges et de prix internationaux prestigieux, ce film qui raconte une histoire proche des gens et qui sort à un moment propice, nous laissait présager que nous aurions un produit de haut calibre à présenter. Mommy s'annonçait comme un rayon de soleil dans une année morose pour notre industrie.

Mais voilà, le rideau est tombé et on m'avise que je ne peux pas avoir de copie! Serait-ce que son distributeur n'a pas assez de disques durs pour nous acheminer le film? Mais non. On me répond que la clientèle de Xavier Dolan se centralise à 80% à Montréal. C'est pourquoi, le film sera principalement présenté dans la région métropolitaine, avec certaines exceptions ailleurs au Québec. Et selon le succès qu'aura le film à Montréal, peut-être que d'autres endroits tels qu'Aylmer, Alma, Val-d'Or ou Magog pourront le présenter deux semaines plus tard, lorsque le film aura sans doute déjà été piraté et que les entrées seront en chute libre. Est-ce ce à quoi je m'attendais de ce film? NON. Est-ce que c'est ce à quoi M. Dolan s'attendait de la part de son distributeur québécois? Sûrement pas...

Aujourd'hui, c'est Mommy, l'an dernier c'était Gabrielle, en 2011 c'était Monsieur Lazhar et en 2010 c'était Incendies et la liste s'allonge... Au final, les grands succès québécois des dernières années n'auront pas été accessibles dans votre cinéma préféré...

De nos jours, en cette ère du numérique et des communications, ce genre de situation ne devrait pas exister. L'accès au contenu devrait être rapide et encore plus flexible! De la même façon que les câblodistributeurs offrent leurs contenus de vidéo sur demande en même temps, et pour tout le monde!!! Malheureusement, le modèle de discrimination/segmentation de marché demeure toujours une pratique courante dans le milieu du cinéma alors que celui-ci doit faire face à une vive concurrence des autres médias de divertissement.

Je me permets d'exposer ici cette réalité vécue par d'autres cinémas de taille modeste du Québec, car, comme eux, je ne pourrai pas présenter ces films québécois à leur sortie. Nous ne sommes pas dans les plans des grands bonzes du septième art qui pontifient au Québec. Alors nous allons devoir retourner notre clientèle chez elle, ou simplement leur expliquer qu'à l'avenir, ceux-ci doivent aller dans un autre cinéma de plus grande taille pour profiter des vraies sorties des films québécois... Ou encore attendre la sortie en vidéo sur demande.

Et on nous reprochera à nous, les propriétaires de salles indépendantes, de ne pas programmer de films québécois. Mais vous le savez maintenant : ce n'est pas faute de bonne volonté de notre part. Nos écrans et nos installations sont pourtant d'aussi bonne qualité que celles des multiplex.

Fanny Robert, copropriétaire, Cinéma Aylmer

La réplique de Patrick Roy :

Chère Madame Robert,

Je tiens à rectifier certains faits à la suite de la lettre que vous m'avez envoyée aujourd'hui le 12 septembre.

Tout d'abord, il est faux de prétendre que Mommy ne sera présenté que dans la région de Montréal à partir du 19 septembre prochain. En effet, le film pourra être vu dans plus d'une cinquantaine de cinémas répartis dans toutes les régions du Québec. Il s'agit de la plus importante sortie pour un film de Xavier Dolan dont les films précédents avaient été distribués sur un maximum de 25 écrans (pour Laurence Anyways en 2012). De plus, il s'agit d'une sortie initiale beaucoup plus importante que pour les films Incendies (28 écrans), Monsieur Lazhar (28 écrans) ou Gabrielle (32 écrans), trois films que nous avons lancés approximativement à la même date et avec une stratégie de lancement similaire. Je tiens aussi à préciser que les cinéphiles de la région de l'Outaouais seront bien servis puisque Mommy y sera présenté dans deux cinémas.

Pour de nombreux experts du milieu, il s'agit d'une sortie audacieuse puisqu'ils s'attendaient à un nombre d'écrans beaucoup moins élevé lors de la sortie initiale. Nous prenons toutefois le pari de lancer Mommy dans toutes les régions du Québec parce que nous croyons que le film peut rejoindre un large public. En effet, notre campagne qui a débuté à Cannes en mai dernier et qui s'est intensifiée au cours des dernières semaines nous a permis, je pense, de créer un désir de la part du public de découvrir cette grande oeuvre de Xavier Dolan.

Pour ma part, je ne reproche jamais aux propriétaires indépendants leur choix de programmation, et ce que les films soient québécois ou américains. Je respecte aussi le fait que les films ne font parfois que rester brièvement sur vos écrans lorsque les recettes ne sont pas à la hauteur de vos attentes ou qu'un nouveau film vous semble plus intéressant. Je vous invite donc à respecter nos stratégies de lancement qui visent essentiellement à lancer nos films sur le nombre adéquat d'écrans afin qu'ils aient une belle et longue carrière et puissent ainsi rejoindre un maximum de cinéphiles. Comme je le dis souvent, le défi pour nous n'est pas de trouver des écrans pour nos films, mais plutôt de les conserver sur une longue période.

Évidemment, à chaque fois que nous optons pour une sortie contrôlée d'un film, nous avons des choix difficiles à faire et vous avez assez d'expérience pour savoir sur quoi sont basées nos décisions. En effet, nous analysons de façon rigoureuse les résultats de films comparables dans tous les cinémas du Québec et nous optons donc pour les salles les plus performantes dans toutes les régions. C'est ce que nous avons fait pour Mommy et c'est la raison qui explique que nous ne vous avons pas offert ce film pour la sortie initiale du 19 septembre. Mais sachez que mon souhait le plus cher est évidemment de voir le public se déplacer en grand nombre pour voir Mommy dès le premier week-end. Nous pourrons alors avec grand plaisir ajouter des copies dès la semaine suivante afin de répondre à la demande.

Patrick Roy, président, Les Films Séville