Le malaise était palpable, lundi, pendant la projection du nouveau film de Martin Laroche.

À force d'entendre les protagonistes parler de cul, de fellations et de baises à quatre pattes, on pensait bien qu'il se tramait quelque chose. Finalement, le chat est sorti du sac. Sophie (Marie-Evelyne Lessard), jeune Québécoise d'origine africaine, avoue qu'elle est excisée et qu'elle n'a jamais fait l'amour. Cette confession la conduira à prendre d'étonnantes initiatives, qui culmineront en quelques scènes troublantes - on ne volera pas le punch -, le tout dans le contexte improbable d'un parc d'attractions ambulant.

Tourné en caméra subjective, sous forme de docufiction, Les manèges humains aborde de façon tout à fait originale un sujet difficile, pour ne pas dire tabou. Peu de films ont été faits sur l'excision, et encore moins des fictions. Que l'idée vienne d'un jeune cinéaste de 31 ans, originaire de Sherbrooke est encore plus étonnant. On ne saurait imaginer deux réalités plus opposées.

Une part de risque

Mais Martin Laroche n'est pas du genre frileux. Après tout, ses deux premiers films parlaient de pédophilie (Logique du remords) et de paranoïa (Les Modernaires). Alors, pourquoi pas les mutilations génitales?

«L'excision est un sujet horrible, mais fascinant, explique le cinéaste, qui dit avoir été profondément marqué par le livre Ma vie rebelle, de la députée néerlandaise Ayaan Hirsi Ali. Je sais que c'est risqué de mettre ça dans un film, parce que c'est une problématique qui n'est pas la mienne. Mais je voulais montrer que le problème n'est pas seulement africain, et qu'avec la mondialisation, on le retrouve partout, même ici.»

Pour Martin Laroche, qui signe aussi le scénario, le fait de camper le film au Québec permettait de «maîtriser» un sujet d'apparence lointain. Il a quand même rencontré le docteur Claude Fortin, gynécologue spécialisé et lu des tonnes de livres sur la question. De son côté, Marie-Evelyne Lessard a regardé des témoignages de femmes excisées sur le Net. Leur force de résilience, dit-elle, a grandement inspiré le personnage de Sophie, une jeune femme frondeuse qui évite de jouer les victimes. «Ces femmes ne pleurent pas. Elles livrent leur souffrance avec beaucoup d'humilité. Mais encore là, elles avaient sûrement pleuré bien avant ça...»

Amie du réalisateur depuis les belles années de la ligue d'impro à Sherbrooke, la comédienne admet que le script de Martin Laroche lui a «fait peur». Comme premier rôle au cinéma, il y a effectivement moins engageant. Mais le scénario était tellement «surprenant» qu'elle n'a pas hésité longtemps. Sa performance, à la fois courageuse et spontanée, lui a déjà valu le prix spécial du jury au Festival du film de Whistler en décembre. Un pas de plus vers la reconnaissance, pour l'actrice québéco-haïtienne, qu'on peut aussi voir à la télé dans les séries 19-2, Trauma et C'est bon pour moi, et qui sera de la prochaine saison des Argonautes. Marc-André Brunet, Alexandre Dubois et Stéphanie Dawson complètent cette distribution dont le seul véritable nom connu est le comédien Normand Daoust (Trauma, Toute la vérité, Destinées).

Buzz favorable

Terminé depuis déjà un an, Les manèges humains nous arrive précédé d'un buzz favorable. Le film a été présenté l'été dernier Festival international du film de Karlovy Vary, en République tchèque, où il a fait bonne impression, récoltant au passage une critique positive dans le magazine Variety, qui a souligné la «sincérité» du film. Puis il y a eu Rouyn-Noranda, Whistler et, plus récemment, le Festival du film black de Toronto.

Pour Martin Laroche, parlons d'un pas en avant. Tournés de façon totalement libre, avec des budgets faméliques (3500$ pour le premier, 6000$ pour le second) ses deux premiers longs métrages n'avaient connu qu'une distribution limitée. Avec ce premier film subventionné (budget de 400 000$) le voici dans une autre ligue. «J'ai enfin pu payer mes comédiens», dit-il, admettant que ces moyens accrus lui ont, pour la première fois, «permis de faire le film qu'il avait dans la tête».

Marginal de nature, le cinéaste ne succombe pas pour autant aux sirènes du cinéma commercial. Le fait de situer l'histoire dans un parc d'attractions, avec une bande de jeunes gens sympathiques, offre un heureux contrepoids au drame de Sophie. Mais la crudité - pour ne pas dire la cruauté - du sujet, doublée à une succession de scènes fortes et inattendues, classent indéniablement Les manèges humains dans la catégorie des vues «dérangeantes».

«Est-ce que je suis un cinéaste du malaise? conclut Martin Laroche. Peut-être. Il faudrait que je me fasse psychanalyser! Disons que je suis peut-être un peu frontal. Je n'essaie pas d'en rajouter. J'essaie de dire les choses comme elles se passent. Et le malaise, ça fait partie de la game