Ce mot, mannequinat, fort joli et d’usage peu courant, qui bien sûr fait référence au métier de mannequin, n’est en vérité qu’une belle bulle sonore: le job de mannequin n’a rien de joli, du moins à en croire ce documentaire où l’on suit les traces d’une jeune aspirante modèle, la Russe Nadya, à peine 13 ans, qui ne connaît pas grand-chose du strass et du glamour, elle qui habite avec sa mère dans un village tout à fait pittoresque perdu dans les steppes sibériennes. Oui, les traqueurs de jeunes minois rentables vont recruter jusqu’au bout du monde.



Tourné sur une période de plus de trois ans, Girl Model, loin d’être un de ces «documentaires-chocs» qui, sous prétexte de dire et de montrer «les vraies affaires», s’engluent dans le reportage sensationnaliste et le débat-spectacle, aborde son sujet avec délicatesse et retenue. Rien n’y est présenté qui soit sordide ou qui puisse susciter l’aversion indignée; l’ensemble distille des sentiments troubles de tristesse, de profonde mélancolie et de désarroi.

Et si Girl Model ne fait qu’effleurer certains sujets délicats et déplaisants (la prostitution chez les mannequins mineurs, par exemple), nous devons comprendre que le mannequinat international, qui fait rêver les fillettes et, la plupart du temps, les mamans qui ne leur veulent que du bien, n’a pas grand-chose à voir avec la natation ou le ballet-jazz.

Nadya passe les premières auditions devant jury, avec une pléthore de ravissantes adolescentes russes en maillot de bain. Toutes sont scrutées à la loupe et jugées selon les critères spécifiques des éventuels employeurs, des Japonais en l’occurrence. La jeune blonde est supervisée par sa recruteuse, Ashley Arbaugh, ancien mannequin désabusée et principale intervenante dans le documentaire. Choisie comme «stagiaire», Nadya sera envoyée à Tokyo dans un grand hôtel froid d’un quartier industriel. Ce qu’on lui avait présenté comme un séjour de star sera plutôt une visite au purgatoire.

Les documentaristes Ashely Sabin et David Redmon, sans parti pris (ou à peine), sans chercher non plus à montrer du doigt quelque coupable de cette embarrassante industrie de la chair fraîche, n’ont pas fabriqué le film dénonciateur auquel on pouvait s’attendre, et c’est tout à leur honneur.

Interrogée dans Girl Model, la Québécoise Rachel Blais, qui a fait belle carrière comme mannequin et qui connaît les vices et les tares du métier, pose cette question: qui est à blâmer? Nous sortons de ce film avec ces interrogations, éternellement insolubles, à propos de l’épouvantable loi de l’offre et de la demande où tout est marchandise, y compris l’innocence.

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Documentaire de David Redmon et Ashley Sabin. 1 h 18.