«Es-tu malade' Tu ne vas pas faire une folie semblable'» Voilà, à peu de choses près, la réaction spontanée à laquelle j'ai eu droit quand j'ai annoncé à mes fils et à ma fille que je comptais m'offrir un cadeau d'anniversaire en faisant un retour en course automobile au circuit Mont-Tremblant dans le cadre des Légendes du Sport automobile organisé récemment par Bobby Rahal, ex-vainqueur des 500 milles d'Indianapolis.

L'invitation m'est venue de mon ami Hugh Kwok, qui en collaboration avec son père, a passé les 10 dernières années à construire et à mettre au point une voiture de sport inédite qu'ils ont appelée «Triposto» pour souligner ses trois places côte à côte, dont celle du milieu réservée au pilote. La voiture existe en deux versions, l'une pour la course et l'autre pour la route. Fanatique de la marque Porsche, la famille Kwok a construit la Triposto autour du châssis et des éléments mécaniques d'une Cayman S, un gage de fiabilité et de performances. À part le remplacement de la carrosserie originale qui a permis un allègement d'environ 300 kg, la voiture n'a pas fait l'objet de modifications majeures et cela dans le but de simplifier son entretien. Le moteur de 300 chevaux est resté inchangé tout comme la boîte de vitesses à 6 rapports. La carrosserie, par contre, a vu son aérodynamique améliorée par l'ingénieur d'origine arménienne, Stefan Mouradian. Un immense aileron arrière assure par exemple l'appui nécessaire à haute vitesse.



Premier défi

Me voilà donc prêt à faire face à mon premier défi: m'installer dans la voiture. Privée de véritables portières, la Triposto oblige à d'abord s'asseoir, au prix d'un léger élan, sur le prolongement de la barre antitonneau pour ensuite pivoter et poser le pied à l'endroit où se trouverait normalement le siège du passager de gauche. Ensuite, il ne reste plus qu'à se laisser choir dans l'étroite coquille qui constitue le poste de pilotage. Pendant qu'un équipier se charge de me ficeler dans l'auto avec les ceintures de sécurité spéciales à six points, Hugh Kwok m'explique le processus de démarrage du moteur. Rien de bien compliqué à ce stade-ci: basculer la touche pour le coupe-circuit et appuyer sur le démarreur. La Triposto est un charme à piloter. Parfaitement équilibrée grâce à son moteur central, il est même difficile d'atteindre ses limites. Et sa légèreté lui vaut des accélérations qui, sur la ligne droite, rendent les dépassements faciles, que ce soit aux dépens d'une Porsche 911 ou de quelques autres prototypes moins bien motorisés. Il m'aura suffi d'une dizaine de tours pour retrouver mes repères sur une piste que je connais comme le creux de ma main. Et dans une voiture qui ressemble drôlement, au plan de la conduite, à toutes ces Porsche que j'ai pilotées dans une autre vie. J'ai l'impression que mon âge est resté à la maison et il me semble avoir retrouvé toutes mes aptitudes au volant. Mais, le chrono est impitoyable et j'accuse 2 secondes de retard sur mon coéquipier. J'ai quand même droit à l'accolade et je ne m'en fais pas outre mesure. Je tire mon encouragement du fait que je n'avais jamais conduit cette voiture auparavant... et que j'ai tout de même 77 ans bien sonnés. Je dois repasser chaque virage dans ma tête et trouver les endroits où il me serait possible de gagner du temps pour la course du lendemain.



Photo: Michel Mayer

Notre collaborateur prêt pour le combat.

Dans le feu de l'action

Dimanche matin: me voilà prêt à prendre le relais dans une course d'endurance d'une heure au milieu d'une meute de voitures allant des Porsche GT3 RS à l'Audi R8 prototype, gagnante des 24 Heures du Mans il y a quelques années. Cette dernière surgit derrière moi juste au moment où je viens d'entrer sur la piste. Inutile de s'obstiner à le retenir avec ses 500 chevaux et sa vitesse de pointe excédant les 300 km/h. C'est maintenant le temps de passer à l'action et d'aligner de bons chronos afin de semer nos vrais adversaires, le clan Porsche. Je dois cependant composer avec un problème de visibilité causé par la présence du saute-vent dont la partie supérieure croise mon champ de vision. En plus, j'ai oublié de bien nettoyer ma visière. Malgré tout, je gagne de 2 à 3 secondes sur mes chronos de la veille. Sur la ligne droite, la Triposto affiche des performances qui me permettent de doubler facilement la plupart des participants. Allégée comme elle l'est, l'auto permet de retarder les freinages, assurant des dépassements à l'entrée des divers virages du circuit Mont-Tremblant. Je me rapproche d'une 911 blanche (ex-Hurley Haywood) que je parviens à doubler, mais qui se colle à moi comme une sangsue. Il passe devant, mais je sais que j'ai une meilleure voiture que lui. Si bien qu'au dernier tour, je me faufile à l'intérieur au virage Namerow. L'arrière se dérobe légèrement et il suffit d'une petite correction pour rejoindre le drapeau à damier. Nous sommes crédités d'une 6e place au classement général et du premier rang de notre catégorie. C'est la félicité.   

Fou et malade

Je suis peut-être fou et malade, mais j'ai l'impression d'avoir rajeuni de 30 ans en laissant ma passion pour la course automobile prendre le dessus. À la fin, je flottais sur un nuage d'adrénaline et mon corps de vieil homme avait remisé tous ces inconforts qui accompagnent le poids des années. Courir à 77 ans' Oui, c'est possible, chers enfants, maisj'avoue qu'il faut être un peu fou, sinon malade.

P.-S.: Loin de moi l'idée de m'inscrire au livre des records Guinness comme le coureur automobile le plus âgé de l'histoire. Je laisse ça à d'autres, plus aventuriers comme le regretté Paul Newman qui, à 80 ans, avait gagné la catégorie GT à Daytona Beach. Rendez-vous dans 3 ans alors.

Photo: Michel Mayer

Premier défi relevé: s'installer confortablement aux commandes de la Triposto-Porsche.